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Les membres de l’ Association Française d’Arbitrage se sont retrouvés lors de leur dîner-débat annuel autour du sujet :
« Le Tiers financeur : Un acteur caché » dont Maître Jean-Yves GARAUD, Avocat aux Barreaux de Paris et New-York a fait une présentation tout à fait remarquable, le jeudi 24 avril 2014 à 20 heures à la Maison du Barreau à Paris.
A la suite de ce dîner, le « tiers-financeur » a été l’objet du dossier de la lettre d’information de l’A.F.A. n°12.

Le tiers financeur, un acteur caché ou Faut-il informé les acteurs du procés arbitral de l'existence d'un tiers financeur ? Par Maître Jean-Yves GARAUD

Le financement des litiges et des arbitrages par les tiers est une pratique ancienne des compagnies d’assurances, banques ou cabinets d’avocats. En revanche, l’apparition de tiers financeurs dont l’activité unique est de prendre un intérêt financier dans le résultat des arbitrages constitue un phénomène nouveau en France.

Qui sont-ils ? Ce sont des fonds d’investissement possédant des capacités de financement très importantes levées auprès de toute sortes d’investisseurs, y compris institutionnels. Ils sont assistés de spécialistes d’arbitrage (professeurs de droit, arbitres, avocats) qui les conseillent dans le choix des investissements ainsi que dans la conduite des arbitrages. Les conventions signées avec les parties financées ne prévoient pas de clause de direction de procès. En revanche, les fonds peuvent cesser leur financement quasi discrétionnairement. Du fait de leur pouvoir financier et de leur compétence technique souvent très supérieure à celle des parties financées, il est vraisemblable qu’au-delà de leur intérêt financier direct ces fonds puissent exercer une réelle influence sur la procédure arbitrale y compris en ce qui concerne le choix des arbitres.

Même s’il n’est pas considéré comme une partie à la procédure d’arbitrage, le tiers financeur est à tout le moins une partie intéressée.

Le droit français de l’arbitrage a progressivement consacré, d’abord dans la jurisprudence, puis dans les textes, une obligation rigoureuse de révélation à la charge des arbitres.

Au vu de la jurisprudence française, qui a considérablement étendu l’obligation de révélation qui pèse sur l’arbitre, il est légitime de penser que les conflits d’intérêts avec un tiers financeur entrent dans le champ de la révélation. Ainsi, il n’est pas contestable qu’existe un conflit d’intérêts potentiel dans le cas où l’arbitre ou son cabinet intervient en qualité d’avocat dans une affaire financée par le même tiers que celui qui a procuré des fonds à une partie à l’arbitrage. De la même manière, il n’est pas rare que les tiers financeurs consultent des arbitres pour apprécier les chances de succès des dossiers ou pour obtenir leur opinion sur les procédures suivies : un tel courant d’affaires entre un arbitre et un tiers financeur d’une partie créerait une situation de conflit d’intérêts réel qui devrait être révélée.

Or, à l’heure actuelle, il n’existe en France aucune obligation légale spécifique ni aucun principe processuel général imposant aux parties à un litige de déclarer systématiquement l’existence des sources de financement du contentieux et donc, la participation à leur côté d’un tiers financeur.

Par ailleurs, le tiers financeur est, de fait, le seul à savoir si sa présence est susceptible de faire naître un conflit d’intérêts chez les membres du tribunal arbitral, parce qu’il a déjà eu des liens avec eux. La partie financée n’a, quant à elle, aucun moyen de connaître ces liens potentiellement discriminants, si ce n’est par l’information que le tiers financeur peut lui communiquer.

Cette situation est donc susceptible de mettre en danger l’instance arbitrale et la sentence. S’il apparaît peu probable qu’un potentiel conflit d’intérêts concernant l’arbitre désigné par la partie financée naisse du fait de l’intervention d’un tiers financeur – celui-ci, généralement associé à la sélection de cet arbitre, aura à cœur de ne pas mettre en danger la validité de la procédure arbitrale –, il peut en aller différemment en ce qui concerne l’arbitre nommé par la partie adverse ainsi que le président du tribunal arbitral.

Ceux-ci n’ont en début de procédure aucun moyen de remplir leur obligation d’information si ils ignorent l’intervention du tiers financeur. En effet, le risque le plus grave est celui de la découverte fortuite, en cours de procédure ou après le prononcé de la sentence, de liens entre un des arbitres et le tiers financeur. Cette découverte pourrait conduire à la récusation de l’arbitre en question ou à l’annulation de la sentence.

A l’instar de l’Australie qui a institué une obligation systématique d’information de l’intervention d’un tiers financeur, il pourrait donc être imposé en tout début de procédure, avant même la confirmation des arbitres, une obligation systématique d’informer sur la présence du tiers financeur dans la procédure arbitrale. C’est la solution la plus protectrice de l’instance arbitrale qui permet d’éviter tout conflit d’intérêts potentiels, et qui garantit une parfaite égalité entre les différents protagonistes de l’instance arbitrale.

Cette proposition ne fait pas l’unanimité loin s’en faut. Une telle solution serait trop radicale, très formaliste, créatrice de lourdeurs procédurales et susceptible de nuire à d’autres intérêts qu’il est légitime de vouloir protéger.

Pour éviter ces inconvénients une partie de la doctrine recommande que l’obligation d’information ne soit pas systématique. Le principe resterait donc l’absence d’obligation d’information systématique, celle-ci n’intervenant que dans l’hypothèse où le tiers financeur aurait connaissance d’un conflit d’intérêts potentiel résultant de sa présence, auquel cas ce tiers financeur serait contraint de divulguer son intervention.

Afin de ne pas en rester au stade de la déclaration de principe, une telle solution, reposant en grande partie sur l’appréciation subjective du tiers financeur lui-même, nécessite un aménagement strict de ses modalités et la création d’obligations nouvelles à la charge non pas tant des parties ou de l’arbitre, car elles sont connues, mais des tiers financeurs eux-mêmes, car elles sont nouvelles. Il importe donc d’introduire dans les contrats de financement une clause standard créant à la charge des tiers financeurs une obligation de mener un conflict search et d’indiquer toute relation avec un arbitre qui pourrait s’avérer problématique si elle était découverte. L’introduction de cette clause pourrait être recommandée soit dans des règles de bonne conduite destinées aux parties ou aux third party funders, soit, imposée dans les règlements des institutions d’arbitrage.

En conclusion, il est incontestable que la présence d’un tiers financeur dans l’instance arbitrale peut générer des conflits d’intérêts potentiels. En ce sens, la situation actuelle qui n’oblige personne à révéler quoi que ce soit ne peut perdurer.

La solution consistant à faire reposer l’obligation d’information sur le tiers financeur peut paraitre ménager les divers intérêts en cause d’une manière assez équilibrée et efficace pour l’instant.

Dans quelques années, on pourra juger si cette méthode de révélation garantit suffisamment la sécurité juridique de l’institution arbitrale ou s’il faudrait au contraire instaurer une révélation systématique de la participation de tout tiers financeur à la procédure.

La Lettre de l'A.F.A. n°12