Le Règlement d’arbitrage de l’Association Française d’Arbitrage a été conçu comme un instrument efficace et novateur depuis l’origine. Dans le souci de le moderniser et de l’actualiser l’AFA a, depuis plusieurs années, confié à des groupes de réflexion successifs le soin d’examiner certains aspects de la pratique arbitrale et de proposer des modifications au Règlement.
Dans la lignée des groupes de réflexion antérieurs consacrés aux décisions du Comité d’arbitrage ainsi qu’à la consolidation d’arbitrages connexes, qui avaient suggéré des ajouts et modifications au Règlement d’arbitrage de l’AFA, a été constitué un groupe de réflexion sur la question de l’arbitrage d’urgence.[2]
L’objet de cet article est d’exposer succinctement les travaux de ce groupe et les principales conclusions auxquelles il est parvenu, ainsi que de présenter brièvement les principales modifications et ajouts au Règlement préparés à l’issue de ses travaux.
Le groupe de réflexion de l’AFA sur « l’arbitrage d’urgence »
À l’initiative de son ancien Président, Me Bertrand Moreau, l’AFA a constitué au mois de janvier 2017 un groupe de réflexion sur « l’arbitrage d’urgence » qui a conduit ses travaux sous la direction de Me Andrea Pinna.[3]
Ce groupe de praticiens (avocats, arbitres, anciens magistrats, experts et universitaires) de l’arbitrage interne et international a été formé avec comme objectif « d’apprécier l’expérience de l’AFA en matière d’arbitrage d’urgence en application de l’article 13,[4] de déterminer si cette disposition répond aux besoins de la pratique et, le cas échant, de suggérer des modifications du Règlement d’arbitrage ».[5]
Le groupe de réflexion a tenu six réunions (les 1er février, 9 mars, 25 avril, 30 mai, 26 juin et 18 septembre 2017), dont les trois dernières ont été principalement consacrées à l’examen d’un projet de modifications du Règlement d’arbitrage.[6]
Le Règlement de l’AFA est l’un des tous premiers à avoir consacré, dès 1978, un article aux « procédures d’urgence » dans l’arbitrage.
D’autres institutions d’arbitrage n’ont que très récemment traité de la question. À titre d’exemple, ce n’est en effet qu’en 2012 que la Chambre de Commerce Internationale a modifié son règlement pour instituer un arbitre d’urgence (actuellement, article 29 du règlement CCI).[7] Et ce n’est qu’en 2017, alors que les travaux du groupe de réflexion de l’AFA étaient en cours, qu’une procédure accélérée a été prévue par le règlement d’arbitrage de la CCI.[8] De son côté, le règlement du Singapore International Arbitration Centre (« SIAC ») comporte depuis le mois de juillet 2010 des dispositions relatives à une procédure accélérée (Rule 5 – expedited procedure) et un arbitre d’urgence (schedule 1 – emergency arbitrator), qui ont été révisées à l’occasion de son nouveau règlement entré en vigueur le 1er août 2016.[9]
Le Règlement AFA est toujours novateur mais doit être modernisé
Si l’antériorité du Règlement AFA et son caractère novateur ne font guère de doute, le groupe de réflexion a conclu dès sa première réunion que, malgré sa modernité, le Règlement de l’AFA ne permet plus de prendre complètement en compte les besoins actuellement exprimés par les parties et leurs conseils.[10]
Le groupe de réflexion a considéré que la demande des parties de pouvoir traiter leur affaire en un temps réduit n’était qu’imparfaitement traitée par le Règlement dans sa rédaction actuelle. Le Règlement n’exclut pas cette faculté, puisque le tribunal arbitral saisi est investi du pouvoir d’organiser la procédure en tenant compte des desiderata des parties et en fonction des circonstances, mais il ne propose actuellement pas de procédure dédiée à un traitement accéléré de la procédure arbitrale, l’article 13 actuel pouvant être compris comme limitant un traitement particulièrement rapide aux seules hypothèses où des mesures d’urgences sont requises.
Les travaux du groupe se sont ainsi focalisés sur la possibilité d’offrir à la fois une procédure d’arbitrage conduite de façon accélérée pour certains litiges et, de manière plus générale, de permettre aux parties de pouvoir solliciter un traitement d’urgence requis par une situation particulière, par le tribunal arbitral déjà constitué, ou par un arbitre spécialement mis en place à cet effet.
La distinction entre procédure d’urgence et procédure accélérée
L’une des principales questions débattue a porté sur la mission de l’arbitre d’urgence de l’actuel article 13 du Règlement AFA.
Cet article se limite-t-il à la possibilité pour l’arbitre d’urgence de prendre des mesures d’urgence ou permet-il de recourir également à une procédure accélérée ?
Le groupe de réflexion a conclu par l’affirmative, puisque la formulation de l’article 13- §1 b) du Règlement aux termes de laquelle le tribunal arbitral « organise la procédure et statue en fonction de ce qu’il estime lui-même être l’urgence » offre la possibilité aux parties de demander une procédure accélérée.
Cette possibilité est cependant loin de constituer un cas général, la disposition en question visant la seule hypothèse de mesures d’urgences, devant le tribunal déjà constitué ou lorsque le tribunal arbitral n’est pas constitué et que les mesures d’urgences sont susceptibles, de l’appréciation du Comité d’arbitrage, d’affecter le fond du litige, celui constitué sans délai.[11]
Il a ainsi été décidé de traiter en deux articles distincts du Règlement la question du recours par les parties à une procédure accélérée dotée de son régime propre et celle de l’arbitrage de l’urgence.[12]
La distinction entre sentence et ordonnance
Un autre des questions suscitant de vifs débats a été celle de la forme de la décision par laquelle les mesures d’urgences sont décidées.
S’agit-il d’une ordonnance ou d’une sentence ? Doit-on limiter les pouvoirs de l’arbitre d’urgence à ne statuer que par ordonnance (mais alors s’agit-il bien d’un arbitre ?).
La rédaction actuelle de l’article 13- §1 c) du Règlement qui indique que le tribunal arbitral « prend toute mesure immédiatement exécutoire qu’il estime appropriée » milite pour la possibilité de rendre une sentence. Cependant, le membre de phrase qui suit « et qui n’affecte pas le fond du litige » semble plutôt viser une ordonnance.
Le groupe de réflexion a sur ce point examiné les solutions adoptées par d’autre règlements, ainsi que les avantages respectifs de la saisine d’un juge des référés ou d’un arbitre d’urgence et, enfin, les critères distinctifs (en droit français) de l’ordonnance et de la sentence.[13]
Sur cette question, le groupe de réflexion est parvenu à la conclusion qu’il était préférable de recourir à une formulation large permettant à l’arbitre saisi de statuer par voie d’ordonnance ou de sentence, selon ce qu’il estime être approprié. En effet, le Règlement AFA a vocation à s’appliquer dans des arbitrages internationaux avec un siège qui peut ne pas se trouver situé en France, de sorte qu’il serait inopportun d’imposer une solution transposant l’état du droit français de l’arbitrage sur cette question.
Les membres du groupe de travail ont ensuite consacré leurs travaux à l’examen des modifications qui pourraient être suggérées au Conseil d’administration de l’AFA afin d’introduire une nouvelle section dédiée à une procédure d’arbitrage accéléré, de reprendre la formulation des dispositions existantes relatives à l’urgence et, enfin, de procéder à divers ajustements afin de compléter et harmoniser la rédaction du Règlement.
Ayant décidé de traiter de façon autonome d’une procédure accélérée par rapport à celle découlant de l’application générale du Règlement, le groupe de réflexion a été conduit à distinguer trois cas, faisant chacun l’objet de dispositions regroupées au sein d’un article distinct.
La procédure générale
Le nouvel article 14 du Règlement traite du cas le plus général où les parties ne souhaitent pas bénéficier d’une procédure conduite en un temps particulièrement réduit et souhaitent, en tout cas, disposer pour s’exprimer d’une phase écrite pouvant s’articuler en deux échanges de mémoires postérieurement à leurs écritures introductives et, également, d’une phase orale avec, le cas échéant, l’audition de témoins et d’experts, outre d’éventuels mémoires après audience.
L’ensemble de ces développements procéduraux ne nécessite pas d’être prévu par le Règlement ; ils font partie des questions discutées entre les parties et le tribunal arbitral à l’occasion de l’audience procédurale préliminaire et sont reflétés dans le calendrier procédural établi par le tribunal arbitral.
Cet article 14 se borne ainsi à reprendre, en les regroupant au sein d’un seul article, les dispositions existantes du Règlement relatives au procès-verbal de saisine du tribunal arbitral, au calendrier procédural, à la langue et aux règles de la procédure, ainsi qu’aux mesures d’instruction (qui étaient le seul l’objet de l’article 14 ancien).
Il n’y a pas ici de modification substantielle, le tribunal arbitral demeurant maître de conduire la procédure avec le nombre d’échange de mémoires et les audiences de plaidoiries et d’audition de témoins et d’experts, dans les délais du calendrier procédural fixé par le tribunal après en avoir discuté avec les parties. Il s’agit de l’hypothèse usuelle dans laquelle la procédure aboutit dans un délai qui peut être globalement estimé aller de 12 à 18 mois pour la plupart des arbitrages internationaux.
La (nouvelle) procédure accélérée du Règlement
La procédure accélérée, qui est une disposition nouvelle, fait l’objet de l’article 15 du Règlement. Il s’agit d’une procédure autonome conduite selon les prévisions de cet article. Il a en effet été jugé opportun par le groupe de réflexion de proposer un corps de règles préétablies, permettant aux parties de connaître par avance le régime d’une procédure conduite en un temps réduit, par dérogation au « régime commun » de l’arbitrage selon la procédure générale de l’article 14 (ancien article 12).
Dans le souci de raccourcir la durée de la procédure à chacun de ses stades et, au passage pour limiter les coûts, les principes suivants ont guidé la rédaction : limiter le nombre d’écritures, ne pas tenir d’audiences et fixer des délais maximaux pour la constitution du tribunal arbitral comme pour la reddition de la sentence.
La procédure accélérée est ainsi encadrée à chacun de ses stades :
• Constitution rapide du tribunal arbitral : le tribunal arbitral est désigné par le Comité d’arbitrage, dans un délai maximal de 30 jours à compter de la demande d’arbitrage ;
• Le tribunal arbitral est par principe composé d’un arbitre unique (sauf si le recours à un tribunal arbitral comprenant plusieurs arbitres est prévu dans la convention d’arbitrage, ou si les parties en sont convenues avant le dépôt de la demande d’arbitrage) ;
• Un seul échange d’écritures : la demande d’arbitrage et la réponse à la demande d’arbitrage tenant lieu de premier mémoire, la phase écrite se limite à ce seul échange d’écritures, dans les délais fixés par le Règlement. La possibilité d’un second échange de mémoires (réplique/duplique) n’est envisagée que dans un nombre de cas limitativement énumérés et dans des délais encadrés ou, en toute hypothèse, si le tribunal l’estime nécessaire à l’accomplissement de sa mission ;
• Communication complète des pièces et attestations de témoins dès le stade de la demande d’arbitrage et de la réponse à la demande ;
• Dans l’hypothèse d’une éventuelle demande reconventionnelle, celle-ci doit impérativement être formée dans la réponse à la demande d’arbitrage et la partie demanderesse peut alors y répondre dans sa réplique (si un second échange d’écriture est prévu) ou dans un délai de 15 jours de la réponse à la demande ;
• Le tribunal arbitral statue sur documents ; une audience d’audition de témoins et experts et de plaidoiries peut cependant avoir lieu si le tribunal l’estime nécessaire à l’accomplissement de sa mission ou sur demande des parties, dans un nombre de cas limitativement énumérés ;
• Le tribunal arbitral dispose d’un bref délai de 45 jours pour rendre sa sentence (sauf prorogation accordée par le Comité d’arbitrage sur demande préalable et motivée du tribunal arbitral).
Il convient de relever, que la procédure accélérée de l’AFA n’est ouverte que si les parties en sont convenues et qu’elle n’est pas réservée aux « petits litiges ». Elle n’est pas imposée aux parties, ni rendue obligatoire en deçà d’un certain montant en litige, ce qui distingue sur ce point le Règlement de l’AFA de celui d’autres institutions.
Lorsqu’elles décident dans leur convention d’arbitrage (ou par accord ultérieur) de se soumettre aux dispositions de cet article, les parties connaissent par avance les étapes procédurales (y compris celles auxquelles elles ont par avance renoncé : second échange d’écritures, audiences).
Toute en préservant la souplesse de l’arbitrage, en permettant d’adapter la procédure aux circonstances et à la volonté des parties, et en préservant la maîtrise de la conduite de la procédure par le tribunal arbitral, une procédure accélérée conduite selon le nouveau règlement d’arbitrage de l’AFA peut s’inscrire dans un délai n’excédant pas deux mois et demi (75 jours) seulement, de la date de la demande d’arbitrage à celle du prononcé de la sentence.[14] Ce délai peut être porté à un maximum de quatre mois et demi (135 jours).[15]
L’arbitrage de l’urgence dans le nouveau Règlement d’arbitrage de l’AFA
L’arbitrage de l’urgence de l’article 16 vient remplacer les procédures d’urgence de l’ancien article 13 du Règlement.
Le Règlement vise dorénavant « l’arbitrage de l’urgence », termes qui sont apparus mieux refléter la vocation de ces règles à régir des situations qui ne se limitent pas à de simples mesures d’urgence, comme la rédaction ancienne pouvait le laisser penser.
En effet, cet article vise la situation où le tribunal arbitral est déjà constitué et où, indépendamment de l’instruction de l’affaire sur le fond, il y a lieu de prendre sans délai des mesures provisoires ou conservatoires (du même type que celles que les parties pourraient demander à un juge de référé) dictées par des impératifs d’urgence, pour éviter par exemple la déperdition de preuves, ou encore, de décider au préalable une question sans plus attendre. Mais cet article vise également la situation où, compte tenu de mesures à prendre d’urgence, il est souhaitable de constituer sans délai le tribunal arbitral chargé du fond de l’affaire ou, le cas échéant, de désigner au plus vite un arbitre chargé de traiter l’urgence dans l’attente de la constitution du tribunal arbitral qui tranchera le fond du litige.
La nouvelle rédaction conserve ainsi cette première distinction.
Premier cas, lorsque le tribunal arbitral est déjà constitué (article 16- §1)
Lorsque le tribunal arbitral est déjà constitué, il lui appartient de statuer sur les mesures sollicitées en fonction de sa propre appréciation de l’urgence et selon la procédure qu’il estime adaptée à la situation.
La nouvelle version a cependant été légèrement modifiée.
Dans la nouvelle rédaction, le cas visé ne se limite pas aux « mesures d’urgence » que peut requérir une partie (formule de l’ancien article 13), mais vise la demande faite au tribunal de statuer d’urgence : « Dès sa constitution, toute partie peut requérir du Tribunal arbitral ou de l’Arbitre unique qu’il statue d’urgence sur sa demande ».
Cette formulation recouvre ainsi également la situation de décisions de fond devant être prises sans attendre, et pas de simples mesures provisoires ou conservatoires.
Second cas, lorsque le tribunal arbitral n’est pas encore constitué (article 16- §2)
Dans l’hypothèse où le tribunal arbitral n’est pas encore constitué, c’est le Comité d’arbitrage qui doit procéder aussitôt à sa constitution sans être tenu des délais fixés par ailleurs dans le Règlement.
Dans cette hypothèse, une seconde distinction intervient selon que les mesures sollicitées sont, ou ne sont pas, de nature à affecter le fond du litige.
Cette seconde distinction, qui figurait déjà dans l’ancienne version, a été conservée.
La répartition des rôles est claire : c’est au Comité d’arbitrage qu’il appartient d’apprécier prima facie si les mesures sollicitées sont de nature à affecter le fond de l’affaire, puis au tribunal arbitral saisi de se prononcer sur les mesures sollicitées selon sa propre appréciation de leur caractère d’urgence allégué.
En premier lieu, lorsque le Comité d’arbitrage estime que les mesures d’urgence sont susceptibles d’affecter le fond du litige, il constitue le tribunal sans être tenu des délais par ailleurs prévus dans le Règlement, et il appartient au tribunal arbitral de statuer selon ce qu’il estime lui-même être l’urgence. L’intervention du Comité d’arbitrage a permis d’accélérer la constitution du tribunal arbitral et les parties se retrouvent donc en pratique dans le premier cas, celui visé par l’article 16- §1.
En second lieu, lorsque le Comité d’arbitrage estime en revanche que les mesures d’urgence ne sont pas susceptibles d’affecter le fond du litige, il n’y a pas lieu d’accélérer la procédure de constitution du tribunal arbitral devant statuer sur le fond. En pareil cas, le Comité d’arbitrage désigne un arbitre unique (toujours sans être tenu par les délais par ailleurs prévus par le Règlement pour la constitution du tribunal arbitral) avec pour mission de se prononcer sur les mesures d’urgences sollicitées dans un bref délai (10 jours à compter de la clôture des débats).[16]
L’arbitre unique est libre de statuer sous forme d’ordonnance ou de sentence, selon ce qu’il estime être approprié.
Deux rédactions sont cependant proposées par le groupe de réflexion au Conseil d’administration sur ce point. L’une consiste à indiquer explicitement que l’arbitre unique se prononce par voie de sentence ou d’ordonnance, l’autre omet toute référence à la forme de la décision.
Selon l’auteur de ces lignes, la solution pratique devrait être identique quelle que soit l’option finalement retenue.
En effet, le Règlement prévoit la désignation d’un arbitre unique. En d’autres termes, il s’agit d’un arbitre et non d’un « tiers ».
S’il devait être cantonné à ne se prononcer que par voie d’ordonnance, la question se poserait de savoir (au moins en droit français) si la personne désignée comme arbitre de l’urgence est bien un arbitre.
De plus, celui-ci ayant pour mission de « statuer » sur les demandes d’urgence et de prendre, les parties entendues, « toute mesure, immédiatement exécutoire, qu’il estime appropriée et qui n’affecte pas le fond du litige » (soulignement ajouté) il conserve la faculté de se prononcer par voie de sentence s’il l’estime opportun (malgré la réserve concernant le fond du litige).
Un autre argument qui milite en faveur de la qualification d’arbitre (et donc de la faculté devant être ouverte de se prononcer par voie de sentence), est que le régime institué par l’article 15 nouveau prévoit la faculté pour l’arbitre unique d’assortir du paiement d’une astreinte les mesures qu’il ordonne (« dans la mesure où cette faculté est offerte par la loi de procédure applicable »).
L’hypothèse où une demande d’urgence est formée alors qu’aucune demande d’arbitrage n’a été déposée au Secrétariat de l’AFA, et qu’a fortiori le tribunal arbitral n’est pas encore constitué pour connaître du fond du litige, a donné lieu à un débat que le groupe de réflexion n’a pas tranché.
La question est la suivante : doit-on ou pas imposer au demandeur de mesures d’urgence de déposer une demande d’arbitrage sur le fond à bref délai[17] et, en toute hypothèse, avant la décision de l’arbitre d’urgence, à peine de caducité de la demande d’urgence ?
Plusieurs arguments militent en faveur du dépôt obligatoire d’une demande d’arbitrage dont notamment le souci d’éviter les demandes dénuées de sérieux, ou celles utilisées dans le but de court-circuiter le jeu normal de la clause en forçant une désignation rapide du tribunal arbitral. À l’inverse, il peut être avancé qu’une décision sur un aspect « urgent » peut permettre de vider le litige d’un élément substantiel et amener les parties à composer ou à envisager une médiation, faisant l’économie d’une procédure (avec comme corolaire un gain en terme de temps et de coûts). Ne pas déposer de demande d’arbitrage permet d’éviter de cristalliser le litige à un stade où les parties pourraient peut-être encore s’accorder.
Sur cette question également, une option demeure donc ouverte dans la rédaction du projet de rédaction issu des travaux du groupe de réflexion soumis à l’appréciation du Conseil d’administration.
Il convient enfin de signaler que l’article 16 est complété par des « dispositions communes » prévoyant, outre la faculté d’assortir les mesures du paiement d’une astreinte, celle de modifier ou compléter les mesures provisoires ordonnées, et l’engagement exprès des parties à exécuter spontanément et dans les délais prescrits les mesures décidées par l’arbitre d’urgence.
Comme dans l’ancienne version, le paiement de la provision pour frais de l’arbitrage ne conditionne pas la décision de l’arbitre de l’urgence, mais demeure le préalable à la mise à disposition des parties de la décision transmise par l’arbitre au Secrétariat.
La refonte du Règlement : l’accent mis sur la célérité
Les réflexions du groupe de travail sur l’arbitrage d’urgence débouchant sur des propositions substantielles de modification du Règlement ont également été l’occasion de se pencher sur la formulation d’autres dispositions du Règlement.
Il a été ainsi proposé d’apporter diverses modifications mineures d’ordre purement rédactionnel afin d’harmoniser la formulation, ou parfois de la clarifier. Parmi les propositions de modifications purement rédactionnelles, visant à l’amélioration de la lisibilité et la praticité du Règlement, figurent la numérotation en continu des paragraphes, l’ajout de titres, permettant une recherche plus aisée dans une table des matières plus complète et détaillée.
De façon plus significative, il est également proposé une modification structurelle avec la réorganisation du Règlement en cinq sections, suivant l’ordre chronologique de la procédure, de la saisine de l’AFA à la sentence :
• dispositions générales relatives à l’arbitrage selon le Règlement de l’AFA (saisine de l’AFA, demande d’arbitrage et réponse, frais) ;
• cas de la pluralité de parties ;
• le tribunal arbitral ;
• l’instance arbitrale (procédure générale, procédure accélérée, arbitrage de l’urgence) ;
• la sentence.
Enfin, l’objet du groupe de réflexion portant finalement sur les mesures permettant de garantir aux parties un traitement rapide de leur affaire, il a été introduit une disposition d’application générale, contractualisant dans le Règlement l’obligation de loyauté et de célérité dans la conduite de la procédure.
Cet ajout étend ainsi à toutes les procédures conduites sous l’égide du Règlement, et quel que soit le droit procédural applicable, la disposition correspondante du droit français de l’arbitrage.[18] Cette disposition, applicable aux parties comme aux arbitres, vient s’ajouter et renforcer, en l’étendant aux parties, l’obligation générale de diligence pesant sur les arbitres tenus de statuer dans les délais prescrits pour l’accomplissement de leur mission.[19]
Cet ensemble de modifications, qui à l’heure où ces ligne sont écrites, restent à valider par le Conseil d’administration de l’AFA, sous la présidence de Me Marc Henry, permettra à l’AFA de demeurer parmi les institutions d’arbitrage les plus modernes, offrant aux parties un Règlement adapté à leurs préoccupations pour leurs arbitrages internes et internationaux.[20]
Avocat au barreau de Paris
[1] L’auteur, membre du groupe de réflexion sur « l’arbitrage d’urgence », s’est chargé de la formulation des modifications au Règlement débattues au sein du groupe, puis de la rédaction du projet de Règlement modifié soumis pour approbation au Conseil d’administration de l’AFA.
[2] V. les comptes-rendus des travaux du groupe de réflexion sur la consolidation d’arbitrages connexes (septembre 2014 – juin 2015) sous la direction de Me Jérôme Ortscheidt et également ceux du groupe de réflexion sur les décisions du Comité d’arbitrage (octobre 2014 – avril 2015) sous la direction de M. le Professeur François-Xavier Train : http://www.afa-arbitrage.com/activites/groupes-de-reflexion/.
[3] V. http://www.afa-arbitrage.com/activites/groupes-de-reflexion/.
[4] L’article 13 du Règlement, intitulé « Procédures d’urgence », traite des mesures d’urgence qu’une partie peut requérir devant le tribunal arbitral déjà constitué, ou s’il ne l’est pas encore, du tribunal arbitral constitué sans délai par le Comité d’arbitrage en distinguant selon que les mesures d’urgence sont susceptibles ou pas d’affecter le fond du litige.
[5] V. sur le site de l’AFA la page consacrée au groupe de réflexion sur l’arbitrage d’urgence : http://www.afa-arbitrage.com/activites/groupes-de-reflexion/
V. également, la note du 31 janvier 2017 de Me Andrea Pinna sur le descriptif et les missions du groupe : http://www.afa-arbitrage.com/afa/uploads/2016/11/Reflexion_AFA_L-arbitrage-d-urgence_Document_de_travail.pdf.
[6] V. Les comptes-rendus préparés par Mme Marine Juston pour les réunions des 1er février, 9 mars et 25 avril 2017 :
http://www.afa-arbitrage.com/afa/uploads/2017/02/Compte_rendu_Reunion_du-1_fevrier_2017_Groupe_de_reflexion_L-arbitrage_d-urgence.pdf
http://www.afa-arbitrage.com/afa/uploads/2017/04/Compte_rendu_Reunion_du_9_mars_2017_Groupe_de_reflexion_L-arbitrage_d-urgence.pdf
http://www.afa-arbitrage.com/afa/uploads/2017/05/Compte_rendu_Reunion_du_25_avril_2017_Groupe_de_reflexion_L-arbitrage_d-urgence.pdf.
[7] V. l’article de Jean-Pierre Harb « L’Arbitre d’Urgence sous le Règlement de la CCI (2012) » : http://www.afa-arbitrage.com/afa/uploads/2017/03/j-p_harb_arbitrage_urgence_cci_afa.pdf).
[8] Le nouveau règlement d’arbitrage de la CCI, instituant l’application automatique d’une procédure d’arbitrage accélérée pour tous les litiges de moins de 2 millions d’USD est entré en vigueur le 1er mars 2017.
[9] V. pour le règlement d’arbitrage de la SIAC entré en vigueur en 2010 : http://www.siac.org.sg/2013-09-18-01-57-20/2013-09-22-00-27-02/articles/420-the-emergency-arbitrator-and-expedited-procedure-in-siac-a-new-direction-for-arbitration-in-asia.
V. également, pour celui entré en vigueur le 1er août 2016 : http://www.siac.org.sg/model-clauses/expedited-procedure-model-clause/113-resources/press-releases/press-release-2016.
[10] V. la conclusion de Me Bertrand Moreau, Président de l’AFA, au cours de la première réunion : « l’article 13 existant depuis 1980, les procédures arbitrales se sont modernisées et institutionnalisées, une réécriture complète ou partielle semble ainsi nécessaire ». http://www.afa-arbitrage.com/afa/uploads/2017/02/Compte_rendu_Reunion_du-1_fevrier_2017_Groupe_de_reflexion_L-arbitrage_d-urgence.pdf.
[11] V. le compte-rendu de la seconde réunion, p.5. http://www.afa-arbitrage.com/afa/uploads/2017/04/Compte_rendu_Reunion_du_9_mars_2017_Groupe_de_reflexion_L-arbitrage_d-urgence.pdf.
[12] V. le compte-rendu de la troisième réunion, p.2 : « La question s’est rapidement posée de savoir si un mécanisme unique pourrait traiter des deux problématiques (approche moniste) ou s’il conviendrait de prévoir deux mécanismes distincts à l’instar des récentes approches adoptées par d’autres centres d’arbitrage (approche dualiste). La majorité des membres du Groupe a considéré que l’approche dualiste est souhaitable. C’est cette approche qui a été retenue. Il sera donc proposé que le Règlement d’arbitrage contienne deux mécanismes pour traiter les situations d’urgence :
- Un arbitre d’urgence, pouvant être mobilisé très rapidement, ayant le pouvoir d’adopter des mesures provisoires et conservatoires par ordonnance de procédure ;
- Une procédure d’arbitrage accélérée, permettant de réduire les délais de l’instance arbitrale au fond, en fonction des besoins particuliers de chaque situation.
Il a donc été décidé de préparer une proposition de rédaction d’article du Règlement qui suit cette approche dualiste. »
http://www.afa-arbitrage.com/afa/uploads/2017/05/Compte_rendu_Reunion_du_25_avril_2017_Groupe_de_reflexion_L-arbitrage_d-urgence.pdf.
[13] V. le compte-rendu de la seconde réunion, pp.2-5.
[14] Cas de la procédure accélérée la plus épurée (sans demande reconventionnelle, sans second échange d’écritures, sans audiences) :
➢ Jour J : Demande d’arbitrage
➢ Jour J+30 : Réponse à la demande d’arbitrage et constitution du tribunal arbitral
➢ Jour J +30 + 45 : Sentence.
[15] Cas de la procédure accélérée la plus complexe avec demande reconventionnelle et deux échanges d’écritures. Les délais peuvent le cas échéant être augmentés de la durée correspondant à la tenue d’audiences et la remise d’éventuels mémoires après audience.
[16] La question s’est posée d’enfermer la clôture des débats dans un délai fixe mais la solution retenue a été de s’en remettre à la sagesse de l’arbitre unique spécialement désigné à cet effet par le Comité d’arbitrage, l’arbitre demeurant tenu par son obligation de diligence spécifiquement prévue par le Règlement.
[17] Le projet soumis au Conseil d’administration envisage le dépôt nécessaire auprès du Secrétariat d’une demande d’arbitrage dans un délai de 10 jours à compter de celui du dépôt de la demande d’urgence.
[18] V. Article 1464, 3ème alinéa du Code de procédure civile : « Les parties et les arbitres agissent avec célérité et loyauté dans la conduite de la procédure », article 10 nouveau du Règlement.
[19] V. Règlement, article 7- §2 : « Tout arbitre s’engage à exécuter, conformément au Règlement d’arbitrage et avec diligence, la mission qu’il a acceptée ».
[20] La vocation internationale de l’AFA est également reflétée par le fait que le Règlement de l’AFA est actuellement proposé en version française et anglaise.
Par ailleurs, dans le souci de parfaire son offre, l’AFA va compléter son Règlement d’arbitrage par une partie traitant de la médiation.