Jalal El Ahdab (JEA) : Je comprends parfaitement que l’on puisse soutenir l’idée que l’arbitrage institutionnel permettrait, en fait, de faire des économies, sous-entendues comparé à un arbitrage ad hoc. Comme en sciences économiques, tout est en réalité question de mesure et de chiffres : il faut savoir apprécier la véritable valeur ajoutée économique du service administratif apporté par le centre (parfois ce " prix " est noyé avec celui des honoraires des arbitres, de sorte qu’on ne puisse séparer les deux et évaluer chaque service indépendamment de l’autre) et il faut savoir de quels services on parle. De ce point de vue, je pense que, dans l’environnement très compétitif dans lequel évoluent aujourd'hui les centres d'arbitrage, il ne serait pas inopportun pour ces derniers qu’ils détaillent les services rendus (démarrage de la procédure, désignation/récusation des arbitres, interface entre les parties et le tribunal, suivi des échéances procédurales, assistance aux arbitres, relecture et vérification de la sentence…) en mettant peut-être plus en avant la valeur ajoutée de chaque service apporté et en quoi ce service se distingue de celui apporté par une autre institution.
Si les utilisateurs se plaignent du coût élevé de l’arbitrage, ne pensez-vous pas qu’ils en sont pour partie responsables ?
MD : Les coûts de l’arbitrage devraient être l’affaire de toutes les parties à la procédure (les utilisateurs eux-mêmes, leurs conseils, leurs experts mais également les arbitres). On peut parfois déplorer que les utilisateurs les moins habitués à l’arbitrage en augmentent les coûts sans d’ailleurs quelque fois en prendre bien conscience.
NM : Vous avez raison. Il me semble que les utilisateurs ont une responsabilité majeure en amont des procédures sur l’économie de l’arbitrage. Le négociateur du contrat qui n’a pas l’expérience de l’arbitrage doit, s’il y insère une clause d’arbitrage, prendre l’avis d’un spécialiste de l’arbitrage.
MD : J’ai également pu observer, je dois le dire plus souvent chez la partie adverse que chez nos clients, des comportements de nature à augmenter significativement les coûts. Il s’agit notamment des stratégies de " guérilla procédurale ". L’exemple qui me vient à l’esprit est lié à la recherche de preuves. Nos adversaires, demandeurs à l’arbitrage, ont commencé par une procédure devant les Tribunaux français fondée sur l’article 145 du Code de Procédure Civil (CPC), pour ensuite dans le cadre de l’arbitrage et après la phase de production de documents (au cours de laquelle ils avaient fait des demandes pléthoriques), introduire aux États-Unis une procédure et solliciter un sursis à statuer dans l’arbitrage (qui a d’ailleurs été refusé). Lorsqu’ils ont été déboutés de leur demande de production par les tribunaux américains, nos adversaires ont à nouveau sollicité dans la phase de quantum de l’arbitrage un nombre très significatif de documents.
Il arrive également que le périmètre de la demande soit trop imprécis, qu’il y ait une multiplicité de demandes d’indemnisation dont certaines se recoupent. Il faudrait arriver à convaincre certains utilisateurs qu’ils se fourvoient, ce qui n’est toujours facile. Cela arrive beaucoup moins quand l’équipe " avocat/client " travaille depuis un certain temps ensemble.
JEA : Difficile, selon moi, de pointer du doigt les (seuls) utilisateurs plutôt que les conseils ou les arbitres ou davantage les uns que les autres : il s’agit indiscutablement d’une responsabilité collective et si l’on a laissé parfois l’arbitrage dériver dans le contexte actuel, chacun, à son niveau, doit y avoir contribué d’une manière ou d’une autre, en ce compris les conseils. Dans mon modeste rôle, j'invite, dès que j’en ai l’occasion, le client à prendre ses responsabilités et donc possession de la procédure et à en déterminer, au-delà de la stratégie procédurale, les modalités pratiques de mise en œuvre. D’ailleurs, je note qu’il existe déjà une prise de conscience de beaucoup de directeurs juridiques qui ont compris l’importance pour leur entreprise de ne pas tout déléguer à leur conseil : il arrive souvent que les personnes en charge du dossier dans l’entreprise prennent l’initiative de rédiger de a à z une attestation de témoin, qu’ils aient déjà un système – interne ou externalisé – de traitement des documents et courriers électroniques, qu’ils mettent à disposition les équipes nécessaires selon les grandes étapes de la procédure …
Cela étant dit, et pour reprendre les exemples de Marie, on ne peut nier qu’il existe des dérives procédurières et " guerrières " dans l’arbitrage. En réalité, on constate qu’elles sont très souvent le fait des défendeurs, ce qui n’est pas sans surprise : si une partie est " sur la défensive ", il est devenu courant pour elle d’utiliser toutes les armes possibles, même les plus extrêmes (la déstabilisation du tribunal est ainsi devenu monnaie courante) pour neutraliser les attaques de son adversaire, sachant que, souvent, le seul fait que cette partie soit défenderesse l’a rend d’autant plus agressive que l’on peut penser, a priori, qu’elle est fautive. Mais, il est vrai aussi que les demandeurs peuvent être à blâmer lorsqu’il s’agit d’apprécier l’efficacité procédurale de l’arbitrage qu’ils ont initié : il n’est ainsi pas rare de voir des demandeurs, pourtant à l’origine de l’arbitrage, demander de longs délais pour soumettre leur premier mémoire …
Read Document production under french law
Read Witness evidence under french arbitration law and practice
Et les arbitres ?
MD : S’agissant des arbitres, je dois dire que je n’ai pas eu de mauvaise expérience (de ce type) à l'exception peut-être d'une affaire où les arbitres se sont affranchis du barème de l’institution d’arbitrage en arguant de la grande complexité du dossier. J’ai l’impression qu’une majorité des arbitres qui ont bien compris que les utilisateurs émettaient des critiques justifiées sur les coûts de l’arbitrage sont beaucoup plus attentifs à cette question. Ils ont raison s’ils veulent que l’arbitrage conserve une attractivité suffisante et que partant leur carrière soit longue.
Il faut bien évidemment choisir un président du tribunal arbitral qui a une expérience significative de la procédure d’arbitrage. Il sera à même de canaliser les éventuelles dérives qu’une des parties ou ses conseils pourraient être tentés d’introduire. J’ai assisté à plus de dérives lors d’expertises judiciaires. De mon expérience, l’institution d’arbitrage joue plus efficacement son rôle à ce titre que le Juge chargé du contrôle de l’expertise (mais les barèmes ne sont pas comparables de même que les rapports entre les personnes).
JEA : Là encore, il n’est pas exclu qu’on blâme par trop les arbitres pour le manque d’efficience économique dans la conduite des arbitrages. Mais, on met aussi, un peu trop facilement, dans le même sac des catégories d’arbitres qui ne peuvent être ainsi catégorisés : l’arbitre unique et les co-arbitres, l’arbitre choisi par les parties et l’arbitre désigné par le centre, l’arbitre dans un litige interne et celui dans un arbitrage international, l’arbitre-expert et l’arbitre-star … Comment assimiler toutes ces catégories et les rendre tous responsables de l’explosion des coûts de l’arbitrage ?
Qu’il manque à certains arbitres du courage pour " faire la police de l’arbitrage " et le rendre plus économe, c’est un fait. Il faut toutefois pouvoir disposer d’une autorité, et surtout d’une légitimité, certaines, pour pouvoir imposer cette police, ce qui n’est le cas que d’une petite minorité d'arbitres. D’ailleurs, que l’on songe aux tout premiers arbitrages de ces arbitres devenus aujourd'hui des célébrités : ces derniers disposaient-ils alors du même confort pour « en imposer » ? Mais surtout, comment occulter ici le fait que l’arbitre est aussi un prestataire de services qui, invariablement, cherchera à être retenu pour d’autres désignations ? Voilà un paramètre économique, consubstantiel à l’arbitrage et sur lequel nous n’avons encore que peu d’emprise aujourd'hui … Toutefois, si cette dimension économique devait être vraiment admise et assumée, alors, il est vrai, il conviendrait d’en tirer toutes les conséquences et notamment le fait que l’arbitre est tenu, comme tout opérateur évoluant sur un marché, de toujours prendre en compte les moyens et le temps nécessaires pour trancher le litige en fonction des enjeux et de la complexité du litige. Ce n’est pas toujours le cas.
Les conseils n’ont-ils pas également leur part de responsabilité ?
MD : Les conseils ont un rôle essentiel pour maîtriser les coûts.
Avant la procédure, ils doivent bien conseiller leurs clients sur le choix du mode de résolution du litige. Il ne faut pas, par exemple, systématiquement conseiller le recours à l’arbitrage. Dans certains cas, le recours au juge est plus adapté. Ensuite si les utilisateurs sont d’accord pour recourir à l’arbitrage, les conseils doivent leur proposer un arbitrage qui correspond à leur attentes notamment en termes de coûts. Le choix de l’institution est une des données primordiales, le lieu de l'arbitrage et la langue de l'arbitrage (notamment les coûts de traduction, mais aussi les transcripts) ont également une influence sur les coûts, et le droit applicable au fond est également un facteur qu’il ne faut pas négliger.
Là où il y a souvent une forme de contradiction interne chez l’utilisateur, c’est qu’il souhaite bien souvent la collégialité (trois arbitres) mais voudrait que les coûts soient équivalents à ceux d’un arbitre unique.
NM : N’est-ce pas une conséquence de sa crainte inavouée ou non de l’arbitre unique ? Le fait que sa désignation échappe le plus souvent aux utilisateurs peut être également une explication.
MD : Oui, vous avez raison. Il y a ce réflexe de ne pas vouloir abandonner la prérogative de choisir « son juge ». Dans le conseil donné au moment de la rédaction de la clause, il y a aussi la possibilité de prévoir une phase amiable avant de débuter l’arbitrage ou même une clause de conciliation ou de médiation. Même en cas d’échec, ces confrontations sont utiles aux utilisateurs et à leurs conseils pour mieux analyser la solidité de leurs positions, comprendre la psychologie de l’adversaire et donc définir de manière plus fine sa stratégie.
Lorsque le litige est né, la meilleure garantie est dans le choix des arbitres. Au-delà de ce choix, il faut avoir une discussion très ouverte avec son client sur la stratégie procédurale mais aussi sur les moyens de droit à retenir. Il faut anticiper le risque d’escalade et bien vérifier que son client est prêt à en assumer les conséquences notamment financières. Plus on gagne en expérience comme conseil, plus cette phase est analysée comme cruciale. Il faut arriver à démêler ce qui est de la posture (position très forte et agressivité de départ) de ce qui va tenir dans la durée. Le plus difficile pour le conseil est de convaincre son client qu’il croit au dossier tout lui disant quelque fois qu’il est de son intérêt de réduire ses demandes, de ne pas adopter une stratégie trop agressive. Lorsque le litige éclate, le client va souvent rechercher un conseil qui dégagera l’agressivité qu’il projette à cet instant mais, avec le temps qui passe, sa vision des choses va changer. Il faut anticiper cela.
JEA : Je partage totalement l’avis de Marie plus haut : le meilleur service qu’un conseil peut rendre à son client, c’est de commencer par anticiper, voire d’éviter le litige. Cela commence par la rédaction d’une " bonne " clause de règlement des litiges, ce qui inclut aussi bien le processus – en s’assurant que le confrère « transactionnel » en charge de la rédaction, par exemple d’un pacte d’actionnaires, sollicite bien son confrère spécialiste du contentieux et des ADR – que le contenu de cette clause. Car il faut s’interroger, dans chaque cas et de manière rigoureuse, sur l’opportunité du recours à l’arbitrage et sur tous ces mots, souvent anodins – siège, langue, un ou trois arbitres, nationalité du président … – mais qui, lorsqu’ils sont scrutés dans toutes leurs conséquences financières, permettent de dresser un tableau de bord relativement précis sur le coût futur d’un arbitrage (par exemple : si l’on choisit telle ou telle ville comme siège, sait-on ce que coûtera un éventuel recours en annulation dans ce pays ?).
Par ailleurs, un conseil, véritablement soucieux des coûts, ne fermera jamais la porte, même une fois le litige né, même en fin d‘arbitrage et alors qu’il estime qu’il a toutes les chances de l’emporter, à la médiation et devra, en tout état de cause, bien maîtriser les techniques qui y sont relatives, seul gage d’une résolution économe du conflit. Cela signifie concrètement que les spécialistes de l’arbitrage doivent non seulement se mettre sérieusement à la médiation, mais aussi sortir d’une bulle contentieuse et se muter en " deal-maker " : c’est aussi cela régler le litige de façon économe et c’est ce à quoi semblent aspirer de plus en plus d’utilisateurs aujourd'hui.
Les avocats peuvent-ils discipliner leurs clients ?
MD : Je ne sais pas si les avocats arrivent toujours à convaincre leurs clients de suivre les conseils qu’ils leur donnent ! Je pense qu’il faut impérativement faire tous les efforts nécessaires au début du dossier pour convaincre son client d’adopter une approche raisonnable. C’est souvent difficile mais je pense que c’est profondément notre rôle de conseil que de dire là où on peut aller et là où l’on pense qu’on va fragiliser son dossier en adoptant un ton, des moyens en décalage avec l’analyse que l’on fait du dossier. Il faut du courage c’est évident !
JEA : Là encore, je pense qu’une relation où le conseil " disciplinerait " son client, notamment sur les aspects " éthiques " et " ce qui se fait et ne se fait pas " n’est pas toujours compatible avec la réalité de cette relation, laquelle demeure fondamentalement économique et marquée par un certain déséquilibre en faveur du second qui dicte quelque peu la stratégie et le rapport de force.
Il est vrai toutefois que l’avocat est souvent écouté et se doit aussi d’être pédagogue – n’est-ce pas sous-entendu dans le terme même de " conseil " ? – et, s’il croit dans les vertus de l’arbitrage international, est tenu d’en expliquer la philosophie à son client : le fait qu’il s’agisse d’un système juridictionnel privé dans lequel d'autres " juges ", le plus souvent de grande qualité, sont payés pour rendre la justice, l’équilibre politique au sein d’un tribunal aux intérêts et aux sensibilités culturelles, y compris procédurales, différentes, l’exigence dans l’exactitude et la qualité des arguments factuels et juridiques soumis aux arbitres … sont autant d’éléments auxquels un client, peu au fait de l’arbitrage, devra être sensibilisé.
Si la mise en place d’une procédure d’arbitrage traduit la volonté des parties de résoudre ainsi leur différend, les moyens déployés pour mener à bien cette procédure s’inscrivent-ils toujours dans cette volonté conjointe, notamment lorsque s’affrontent des parties n’ayant pas toutes la même capacité d’en supporter les coûts ?
MD : Les coûts de la procédure d’arbitrage (surtout si on les compare avec le recours à la justice étatique en France) peuvent être dissuasifs et créer une forme d’inégalité entre les parties. Au-delà des cas où en matière interne par exemple, le recours à l’arbitrage n’est pas admis, il y a des situations où les professionnels parties à la clause n’ont pas la même puissance de frappe (et la même maîtrise de la procédure). Il y a deux problématiques selon moi : une des parties n’a pas ou peu les moyens de financer la procédure. Elle peut toutefois recourir aux tiers financeurs, ce que son adversaire ne saura pas forcément. La partie en situation prédominante tentera d’exploiter le manque de moyen présupposé ou réel de l’autre partie en cherchant à renchérir les coûts de la procédure pour l’essouffler. L’avocat de la partie impécunieuse devra tenter d’empêcher cette tactique et l’arbitre pourra résister.
L’autre difficulté est liée au fait que les parties qui ne sont pas des praticiens de l’arbitrage choisissent souvent des avocats qui ne sont pas suffisamment expérimentés dans cette matière (maintenant qu’il y a des filières d’apprentissage on peut espérer que les choses vont changer). Il faut donc tenter de les orienter vers des spécialistes qui connaissent bien la procédure, qui les conseilleront utilement dans le choix des arbitres notamment.
JEA : La problématique de la partie faible et du déséquilibre financier dans l’arbitrage est assez ancienne (Arrêt Prunier de 1843) et il est étrange de relever que, pour un droit (de l’arbitrage) aussi préoccupé par le principe d’égalité des parties, rien n’a encore été pensé – ou du moins concrètement fait – pour assurer cette égalité au niveau des moyens financiers à disposition des parties. Le principe de proportionnalité entre le litige en jeu, a fortiori s’il doit être financièrement limité, et les moyens juridiques, est un principe très proche d’un autre, qui, à mon sens, devrait être (davantage) consacré et sanctionné dans l’arbitrage : celui de l’efficacité (par ailleurs reconnu, il est vrai, dans le nouveau droit français de l’arbitrage). Mais, il faut bien prendre garde ici à ne pas brider la liberté des parties, tout aussi fondamentale, notamment dans leur défense et les moyens mis en œuvre pour l’assurer, car c’est cette liberté qui doit (encore) prévaloir dans l’arbitrage.
Il y a de nombreuses parades pour pallier à ce déséquilibre. Le premier est préventif et relève de la compétence du conseil : il faut bien expliquer – et réexpliquer – aux parties qui veulent, au moment de la négociation, insérer une clause d'arbitrage dans leur contrat, toutes les conséquences financières et concrètes liées à ce choix (comme par exemple l’obligation fréquente de payer la part des frais de l’arbitrage qui doit revenir à la partie défaillante et donc de financer tout l’arbitrage). Les formations, notamment celles de l’AFA, peuvent également aider dans ce sens. Il y a également des solutions a posteriori, comme le recours aux tiers financeurs dont parle Marie plus haut. Mais il faut bien réaliser que le marché des tiers financeurs prêts à intervenir dans un litige au montant limité (quelques centaines de milliers d’euros) reste encore à ses balbutiements …
Peut-on toujours lier ces moyens à l’enjeu du litige ? Devrait-on le faire ?
MD : Il est souhaitable mais pas toujours facile de concevoir la procédure en fonction des enjeux du litige. L’arbitrage offre l’avantage indéniable de permettre aux parties et à l’arbitre de modeler la procédure. Il existe une grande liberté. Il me semble qu’on peut simplifier, épurer la procédure lorsque le dossier est simple. Il faudra se poser la question de la nécessité par exemple d’une phase de production de documents, de la production de témoignage écrits qui entrainent ensuite des auditions de témoins, de la pertinence d’étaler la procédure sur une période importante. Que faire toutefois lorsque des questions complexes se posent tant sur le plan technique que juridique, quand les demandes et les moyens sont aussi nombreux que divers ? Il faudrait arriver à obtenir des parties de rationaliser leurs demandes, elles y arrivent bien devant les tribunaux étatiques car elles savent alors qu’il est trop risqué de leur présenter un dossier indigeste. Pourquoi pas en arbitrage ?
JEA : Le coût d’un arbitrage est, selon moi, déterminé par quatre principaux facteurs, dont la pondération peut varier d’une affaire à l’autre : l’enveloppe procédurale (arbitrage institutionnel ou ad hoc, nombre d’arbitres, barème), la nature (factuelle) du litige, la complexité technico-juridique du litige et enfin, mais dans une moindre mesure je pense, le montant en jeu.
Ces quatre curseurs doivent permettre aux parties, et notamment à leurs conseils qu’elles viennent voir au tout début d’un litige, de dresser un tableau de bord : c’est à ce moment qu’il est probablement le plus opportun de déterminer quels pourraient être les moyens à déployer qui seraient en adéquation avec les enjeux (en ce compris, la probabilité de l’emporter ou de succomber, l’impact financier et immatériel d’une victoire ou d’un arbitrage perdu). Les centres d'arbitrage ont tous développé une expérience et une expertise certaines en matière d’anticipation du coût d’un arbitrage (puisqu’elles doivent apprécier les provisions et frais permettant de financer la procédure), en ce compris les frais d’avocats. Il serait sans doute opportun qu’elles diffusent ces informations, sur une base qui peut rester anonyme, afin que les utilisateurs se fassent une idée plus précise des enveloppes budgétaires à prévoir, selon les quatre paramètres mentionnés ci-dessus (et si toutefois elles peuvent également avoir accès aux sentences correspondantes).
Oui, la communauté arbitrale devrait diffuser, et progressivement exiger l’idée d’une règle de proportionnalité entre les moyens et l’enjeu du litige, à condition que ces enjeux ne se limitent pas aux montants en jeu, mais également à la complexité du litige. Ce sont les fameux quatre critères. Peut-être y en a-t-il d’autres, mais ceux-là me semblent les plus déterminants à l’heure de jauger les moyens à mettre en œuvre dans l’arbitrage.
Que pensez-vous de la proposition d’un juriste d’entreprise de former les arbitres aux techniques de gestion de la procédure ? Case management.
MD : On ne peut qu’être favorable à une meilleure connaissance et maîtrise par les arbitres des techniques de gestion de la procédure. Les arbitres expérimentés les utilisent, je pense surtout à la possibilité de segmenter la procédure lorsque cela contribue à la rendre plus efficace. Les avocats des parties sont toutefois souvent réticents à se voir imposer une gestion de la procédure trop directive (notamment limitation ou exclusion de la phase de production de documents, questions qui seront à trancher uniquement sur pièces, limitation de la longueur ou de la portée des écritures). Ces limitations sont légitimes lorsque le dossier est relativement simple ou lorsque les questions sont bien délimitées quand ces mesures de gestion de la procédure sont décidées. La tenue d’une conférence téléphonique d’organisation des audiences est en général souhaitable.
JEA : Tout effort en direction d’une plus grande circulation de l’information et des " meilleures pratiques " en matière de gestion efficace des procédures arbitrales doit être encouragé. Cette proposition va donc incontestablement dans le bon sens. Mais on peut également garder à l’esprit que la promotion de certaines techniques de conduite de l’arbitrage participe à la tendance, par ailleurs parfois critiquée (v. ci-dessous), d’une trop grande standardisation de l’arbitrage. On voit bien donc que, même dans un esprit constructif, on ne peut si aisément apporter des réponses à un système aussi développé et sophistiqué qu’est l’arbitrage.
Un arbitre directif peut-il être directif sans pour autant réduire la liberté des parties d’organiser la procédure ?
MD : Si les parties sont d’accord sur la procédure, l’arbitre est souvent plus en retrait. Si les parties ne sont pas d’accord sur la procédure alors l’arbitre tranchera les points de désaccord. L’arbitre devra être directif sans fragiliser sa sentence et l’on sait que la partie qui veut obtenir plus en matière de recherche de preuves notamment agitera des concepts tels que le respect du principe du contradictoire ou l’égalité des armes pour tenter de parvenir à ses fins. Là encore seul un arbitre expérimenté saura là où il peut aller sans mettre en danger la procédure. Il ne faut toutefois pas que la procédure d’arbitrage permette d’aller à la pêche aux informations en espérant nourrir ensuite une future procédure ! L’arbitre doit avoir le courage de rappeler aux utilisateurs les devoirs de loyauté et de diligence qui pèsent sur eux.
JEA : De deux choses l’une. Soit l’on envisage l’efficacité, qui justifierait l’interventionnisme directif d’un arbitre, comme un (nouveau) principe fondamental de l’arbitrage qui doit s’imposer, par exemple au même titre que le principe de compétence-compétence, quitte à ce que ce soit, indirectement, aux dépens de la volonté des parties. Cette thèse peut se défendre mais présente des limites et des risques. Soit, de manière plus subtile, on peut estimer que, lorsque les parties ont contracté une clause compromissoire, elles ont, implicitement mais sûrement, voulu un mode de règlement de leurs litiges efficace et économe : de ce point de vue, l’arbitre directif tirera son autorité, pour organiser au mieux la procédure, de la volonté même des parties, qui ne pourront ni alourdir ni retarder le bon déroulement de l’arbitrage, sous peine même de sanctions.
Pensez-vous que le remboursement des frais internes que les entreprises exposent pour la procédure arbitrale est un moyen de réduire les coûts de l’arbitrage ?
MD : Je ne suis pas opposée au remboursement des frais internes que les entreprises exposent pour gérer le dossier d’arbitrage. Elles peuvent légitimement faire le choix d’internaliser une partie des dépenses d’arbitrage. Je pense toutefois que c’est une question qui devrait être débattue dès le début de la procédure. En effet, chacune des parties choisira alors d’internaliser ou d’externaliser ses frais et de les mesurer de manière adaptée si elle les internalise (certaines entreprises qui disposent de services juridiques centralisés qui facturent le temps passé par leurs juristes aux filiales opérationnelles assurent une bonne traçabilité des dépenses, dans d’autres la comptabilisation est un peu empirique). Il faut que les arbitres puissent, quand ils examinent les demandes des parties sur les coûts, juger de la réalité de ces frais internes.
JEA : Mon expérience personnelle m’a conduit à constater que certaines entreprises – mais cela reste encore l’exception – faisaient le choix, justement pour des raisons d’économie, de ne pas externaliser la gestion d’un contentieux arbitral et qu’elles étaient parfaitement en mesure de les traiter en interne, ce qui est d'ailleurs parfaitement compatible avec la flexibilité de l’arbitrage (qui n’impose pas de représentation obligatoire). De ce point de vue, le remboursement des frais internes exposés par la partie n’est pas simplement opportun : il est nécessaire.
En revanche, sur la question spécifique de savoir si un tel remboursement est un moyen efficace de réduire les coûts de l’arbitrage, je suis plus réservé. J’ai noté que le remboursement de ces frais n’était pas toujours (intégralement du moins) accordé par les tribunaux, même lorsqu’ils étaient parfaitement justifiés et minutieusement documentés. Ce qui ne contribue pas du coup à atteindre l’objectif de réduction des coûts en question ici. Par ailleurs, je pense que la question de l’allocation des frais de l’arbitrage, comme sanction d’un comportement abusif ou retardataire, doit davantage être utilisée par les arbitres pour bien alerter les parties et leurs conseils, en amont de l’arbitrage, qu’ils auront les moyens d’assurer une procédure efficace : c’est ce que l’on peut appeler une gestion à la fois préventive et sanctionnatrice de l’arbitrage.
La standardisation des procédures arbitrales à laquelle nous assistons est parfois présentée comme un facteur de simplification contribuant à diminuer les risques de conflits sur le déroulement de la procédure. Pour autant, elle fait perdre à l’arbitrage sa flexibilité et sa capacité d’adaptation aux besoins réels des parties et à la mesure du litige[i]. Qu’en pensez-vous ? Ne pourrait-on songer à rechercher l’équilibre entre ces tendances contradictoires ?
MD : Je comprends que cette " standardisation " à laquelle vous faites référence peut servir de point de départ pour la discussion du calendrier de la procédure et l’ordonnance de procédure. Il faut toutefois éviter de plaquer un " standard " sophistiqué qui est adapté à des arbitrages internationaux complexes et à enjeux financiers importants à toutes les procédures d’arbitrage, qu’on parle de petits dossiers internationaux ou même d’arbitrages internes. Il faut faire du " sur mesure " c’est tout l’intérêt de l’arbitrage. Là encore si l’une des parties, soit à des fins dilatoires, soit par choix tactique, tente d’imposer une procédure particulièrement lourde alors que ni l’enjeu, ni la complexité des questions ne le justifient, les arbitres devront se montrer suffisamment directifs pour couper court à cette stratégie. La situation la plus difficile est sans doute celle dans laquelle les arbitres considèrent que les parties se sont accordées sur une procédure trop lourde au regard du dossier.
JEA : La discussion autour de la standardisation s’était récemment cristallisée autour de la fameuse " ordonnance de procédure n°1 " : quel contenu, à quel moment précis, quelle exhaustivité, quelle fonction ? Je vois d'ailleurs un autre phénomène, encore plus ancien, se répandre aujourd'hui : le sentiment, même dans des arbitrages ad hoc et même dans les arbitrages institutionnels alors que le règlement ne l’impose pas, qu’il faut à tout prix préparer un acte de mission ! Même si je conçois qu’un tel acte peut être parfois utile, voilà, typiquement, une source de coût qui pourrait souvent, à mon sens, être évitée.
Pour autant, la standardisation ne doit pas nécessairement s’entendre de manière négative, comme d'ailleurs le sous-entendent ceux qui la présentent comme un facteur de simplification et donc d’économie : si vous me permettez l’analogie, je pense qu’il faut la voir comme une carte de restaurant, très complet, avec des menus différents dans lesquels chacun doit pouvoir " faire sa sauce " et y trouver les outils adéquats, justement pour arriver à un bon équilibre entre, d’un côté, une procédure respectueuse des droits processuels fondamentaux, notamment en matière d’administration de la preuve, et, de l’autre, une procédure soucieuse d’efficacité et de limitation des coûts. Il n’est pas inutile, selon moi, d’avoir aujourd'hui de plus en plus de sources informelles dans lesquelles puiser pour savoir " ce qui se fait et ce qui ne se fait pas ", même si ces guidelines doivent continuer à se présenter comme non obligatoires.
Pensez-vous que les parties pourraient se prémunir d’une éventuelle escalade des coûts en encadrant ou en excluant certaines pratiques dans la rédaction des clauses d’arbitrage (limitation de la discovery, témoignages exclusivement écrits ou limitation des audiences de témoins...) ?
MD : L’idée est séduisante ! Il faut toutefois pouvoir anticiper les litiges qui vont naître du contrat. Il me semble que cela pourrait être utilisé pour les contrats de franchise par exemple. Pour des opérations de construction, je ne sais, il faut sans doute demander aux professionnels du secteur.
JEA : Je suis d’accord : l’idée me paraît de prime abord séduisante, mais seulement " sur le papier " (sur lequel figure la clause), si vous me permettez l’expression. Pourquoi ? Parce qu’il est très difficile pour les rédacteurs de la clause d'arbitrage, au stade de la négociation et alors qu’ils sont rarement des spécialistes de l’arbitrage et n’ont pas la moindre idée de la physionomie de l’arbitrage potentiel à naître, de dire : nous savons, dès aujourd'hui, que nous n’aurons pas besoin de tel ou tel mode de preuve pour gagner ou nous défendre dans l’arbitrage. Exclure a priori tel ou tel mécanisme, ou même sa portée, me paraît être risqué. Je peux toutefois concevoir qu’on puisse limiter, même à l’avance, la quantité de documents à produire ou le nombre de témoignages, en déterminant un maximum dans la clause. Mais n’est-ce pas théorique ? Après tout, peut-être que non, vu les excès que l’on a pu constater ces dernières années.
DOCUMENT PRODUCTION UNDER FRENCH LAW It is commonly stated that there is no discovery or disclosure under French law. It is true that the French procedure for production of documents is not that extensive. However, in domestic arbitration proceedings, the Arbitral Tribunal can rely on several provisions of the French Code of Civil Procedure (“FCCP”) which address the issue of document production (Articles 9, 10, 11 § 1, 15 of the FCCP). As a basic rule, each party shall provide factual elements in order to prove its case (Article 9 of the FCCP). However, this provision does not prevent the Arbitral Tribunal from ordering a party to produce a document under daily fines (as the case may be). This power is recognised together with the power to draw adverse inferences if a party does not comply with the Tribunal’s order to produce documents.
| | Apart from the power of the Arbitral Tribunal which is recognised by the Law of the procedure (lex arbitri), the parties can agree upon specific rules in this regard. The parties can also refer to arbitration rules. For instance, the AFA rules provide for direction at Article 11. It is stated that the Arbitral Tribunal has the broadest powers to investigate, even of its own motion. It is further stated that it may order any fact-finding measure, and shall set the conditions and deadlines thereof. In international arbitration proceedings conducted in France, the Arbitral Tribunal will, in its procedural orders, give general directions concerning document production: for instance, timing, the use of schedules for document production, reference to the IBA Rules on the Taking of Evidence in International Arbitration. |
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Marie Danis Avocat au Barreau de Paris Associée du cabinet August & Debouzy depuis janvier 2009 Assiste une clientèle internationale dans des dossiers d'arbitrage international (notamment dans le secteur aéronautique et de la défense, l’industrie chimique et pharmaceutique). |
WITNESS EVIDENCE UNDER FRENCH ARBITRATION LAW AND PRACTICE 1. What is a “witness” in the first place? Beyond the CCP setting (art. 199 and 205), arbitration law and practice, far more liberal compared with civil procedure (see below), distinguish two kinds of witnesses: fact witnesses – recounting their own perception of events and circumstances they have personally experienced – and expert witnesses, providing technical opinions pursuant to their professional expertise. Civil procedure requires a witness to be a third person, but arbitration standards are more flexible: an arbitral tribunal can hear any person, who shall not need to take an oath (1467 al. 2 CPC). This includes a party herself/itself or its representative(s), such as an employee of an entity party to the arbitration (or even a counsel, provided he complies with his privilege duties). 2. Can you force a witness to testify in an arbitral hearing? In state court proceedings, a French judge may summon any person to appear before her. This is not the case in arbitration, where the arbitrator, with no coercive power, cannot in principle enjoin a deposition from a party or a third party. This slightly varies from documentary evidence in that a party to an arbitration is expressly entitled to apply for an injunction from the supporting judge (juge d’appui) to force a third party to produce a document in his/her possession: no equivalent provision exists for non-party witnesses. Yet, this does not mean French arbitration law would preclude it per se. 3. How is witness evidence administered in arbitration?
| | Parties’ autonomy in arbitration makes it possible for them to freely administer testimonial evidence: type and number of witnesses, oral testimony alone or with written statements, order of appearance, with or without cross-examinations, scope of such examinations, time allocations, necessity of a recording or a transcript… Provided however parties can agree on these modalities and comply with due process rights, notably the principle of equality. Managing these practical aspects should not however - and actually do not – overlook cost considerations. If the parties are unable to agree, it belongs to the arbitral tribunal to manage, even in details and as it sees fit, the way this evidence is taken. On the basis of its power to administer the proceedings, the tribunal may ask further questions to a given witness or, reversely, can even refuse to hear a potential witness if it feels sufficiently informed on the testimonial point. 4. How can a witness (and/or her statement) be " prepared " ahead of a hearing, if at all? The general rule, both legally and ethically, is that counsels are prevented from influencing witnesses as to the content of their depositions, be it for their written statement or even by coaching them to “enhance” their oral testimony. Yet, in practice, it is commonly admitted that a counsel should be able to educate a witness as to how arbitration actually functions and to assist him/her with the most useful manner to convey to the tribunal his/her personal knowledge or technical opinion. This is why the Paris Conseil de l’Ordre has expressly confirmed that Parisian lawyers are entitled to measure the relevance and seriousness of testimonies produced to support his/her client’s position, and ultimately that may prepare witnesses. |
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Jalal El Ahdab Docteur en droit, Avocat aux Barreaux de Beyrouth, New York et Paris Associé du cabinet Ginestié, Magellan, Paley-Vincent Pratique comme conseil et arbitre l'arbitrage international depuis près de 20 ans, en France, en Afrique et dans les pays arabes en langues française, anglaise et arabe.
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[i] Lara Unfer, L’administration de la preuve en arbitrage international, étude comparative France/ Etats Unis, Mémoire rédigé sous la direction du Professeur Marie GORÉ, 2012-2013 - http://idc.u-paris2.fr/sites/default/files/memoire_lara_unfer_pdf.pdf