La question de savoir si la technique de l’arbitrage peut apparaître comme complémentaire, voire même supplétive au contentieux de l’environnement en droit interne, est une question qui doit être envisagée aujourd’hui.
Mais elle se pose de façon totalement différente dans le domaine international, dans lequel l’existence même d’une juridiction obligatoire pour les Etats ou pour les particuliers n’existe pas.
En droit communautaire ou européen, les juridictions type Cour de Justice de l’Union Européenne, ou encore Cour Européenne des Droits de l’Homme sont, quant à elles, reliées au droit national. Tel n’est pas le cas de la Cour Internationale de Justice de La Haye dont la saisine dépend de la bonne volonté des Etats.
Sur ce plan, arbitrage et contentieux de l’environnement ne sont pas nécessairement exclusifs l’un de l’autre malgré leur nature complémentaire et curieusement aujourd’hui antagoniste. En effet, il est vrai que de nombreuses sentences arbitrales ont été rendues en matière environnementale au niveau international dans un sens positif, on pourra ici citer comme exemple la très célèbre affaire de la Fonderie de Trail1. Les liens entre préjudices environnementaux et arbitrage proviennent des relations entre les États et du droit international public.
Pour la France, depuis l’arrêt GALAKIS rendu par la Cour de cassation en 19662, il ne fait plus de doute que les personnes morales de droit public peuvent compromettre au niveau international.
La Cour internationale d’arbitrage de la Chambre de commerce internationale (CCI) a rendu un certain nombre de sentences non négligeable relatives à des litiges commerciaux impliquant des questions de protection de l’environnement3.
Il est donc logique que l’arbitrage international se soit réellement imposé comme le mécanisme privilégié de règlement des différends entre deux États en matières commerciale et environnementale. Or, il semble pouvoir se développer aujourd’hui dans un sens différent.
Arbitrage et environnement se trouvent en effet au cœur de l’actualité relative aux négociations du Traité Transatlantique, plus connu sous le nom de TAFTA4. Ce traité a en effet prévu un mécanisme de règlement des différends entre investisseurs et États qui renvoie à l’arbitrage. Ce dispositif permettrait aux investisseurs étrangers d’obtenir réparation devant un Arbitre du préjudice découlant d’une norme environnementale5. Le montant des dommages et intérêts alloués par l’État à l’investisseur lésé représente des millions d’euros6. Certaines affaires très médiatisées ont dévoilé ce problème, notamment l’affaire Vattenfall7 qui mettait en cause l’État allemand après sa décision en 2011 de sortie du nucléaire. En réaction à cela, une entreprise énergétique suédoise, exploitant en Allemagne deux centrales nucléaires, a introduit un recours contre le gouvernement allemand, au titre du traité sur la Charte de l’énergie, réclamant à l’État 4,7 milliards d'euros. La hauteur du montant de l’indemnisation octroyée à l’investisseur étranger est significative, et ces dernières années de nombreux recours similaires ont été portés devant les tribunaux arbitraux, mettant alors en cause des normes étatiques ayant pour objectif de protéger l’environnement. Dans une affaire semblable, l’affaire « Lone Pine Resources »8, une entreprise américaine a introduit un recours devant la CNUDCI9 contre un moratoire de la province du Québec au Canada ; en effet, en 2011 cet État a pris des mesures visant à protéger le fleuve Saint-Laurent de risques environnementaux pouvant découler de l’exploitation du gaz de schiste. L’entreprise invoqua alors son « droit légitime d’extraire du pétrole et du gaz sous le fleuve du Saint-Laurent », et « la perte d’un business et d’un cadre légal stable », elle fonda son recours sur le standard du traitement juste et équitable et l’expropriation indirecte prévu dans le Chapitre 11 de l’ALENA10. L’arbitrage peut être considéré dans ce cadre comme un frein à l’application des normes environnementales et une atteinte au pouvoir normatif des États.
La question de l’arbitrage environnemental en droit interne ne pourra pas connaître un tel développement en raison de la Charte de l’environnement mais il peut avoir une place originale.
La thèse de la défense de l’arbitrage en matière d’environnement s’est d’abord appuyée sur les critiques adressées au système juridictionnel, présenté comme trop lourd ou trop lent. Thomas Clay cite, à ce sujet, l’affaire du naufrage de l’Amoco-Cadiz qui a donné lieu à quatorze ans de procédure avant que les victimes puissent obtenir réparation11 (bien que le sujet faisant l’objet d’une convention internationale et ne pouvait être réglé autrement). Parallèlement, alors que la justice étatique n’apparaît pas toujours suffisamment efficace, et que le contentieux environnemental s’accroît, se sont effectivement développés plusieurs types de procédures de règlement extrajudiciaire des différends tels que l’arbitrage, la conciliation et la médiation.
Il est vrai que, de manière générale, l’arbitrage est présenté comme une alternative efficace aux juridictions étatiques et vise surtout des litiges issus du droit privé ou du droit commercial. En effet, selon une opinion couramment admise, l’arbitrage représente une justice dite privée car non étatique, ayant pour principal avantage la confidentialité. L’accès à l’arbitrage peut sembler inadapté à ce type de litige qui vise l’environnement impliquant le plus souvent la mise en jeu d’intérêts publics. Comme l’a très justement souligné Thomas Clay « de prime abord, l’arbitrage, justice privée, relève avant tout de la sphère privée, alors que l’environnement, plus que toute matière, appartient à la sphère publique, et même à la plus publique des sphères puisqu’il s’agit de protéger le globe sur lequel nous sommes tous ».
En réalité, pour nous, le problème se pose à un autre niveau : en effet, d’une façon globale, le droit des affaires met en cause généralement des responsabilités contractuelles ou délictuelles qui se résolvent généralement par l’allocation de dommages et intérêts. Or, en matière d’environnement, il en va tout à fait autrement.
Tout d’abord, le droit de l’environnement est un contentieux technique ; qu’il s’agisse du droit de la protection de la nature ou des droits des pollutions, il faut faire la preuve d’une atteinte ou d’une non atteinte, d’un dommage ou d’un non dommage. Ensuite, les litiges soumis aux juges, sont de nature très différente selon qu’il s’agisse de simples troubles de voisinage, de dommages de pollution, ou encore de questions à régler à la suite de catastrophes type Amoco Cadiz, Erika, La Grande Paroisse, ou encore la pollution du Rhin par les chlorures dans les Mines de Potasse d’Alsace qui a sérieusement affecté l’approvisionnement en eau potable, dans le Nord de la Hollande, pendant de longues années.
A toutes ces spécificités il faut en ajouter une autre, à savoir que le droit de l’environnement a atteint depuis 2005 le sommet de la protection dans la hiérarchie des normes, puisqu’il se trouve aujourd’hui au niveau constitutionnel ce qui a bouleversé les données du problème12.
Mieux encore, dans la plupart des litiges portés devant le juge, les principes généraux de la Charte sont en cause : droit à un environnement sain, droit de la prévention, droit de la précaution, principe du pollueur/payeur, principe de participation, principe d’information : tous ces grands principes du droit de l’environnement issus d’ailleurs du droit international sont souvent maintenant en discussion quant à leur portée ou leur interprétation, sans compter que lorsqu’un texte de nature législative tente de s’interposer en sens contraire de la Charte, le mécanisme de la Question Prioritaire de Constitutionnalité (QPC) permet de l’écarter.
Une telle vision est totalement étrangère à l’arbitrage classique13. Il arrive même au Conseil constitutionnel d’ajouter dans ce type de contentieux de nouveaux devoirs14.
Ajoutons enfin à tout cela que le contentieux de l’environnement emprunte à toutes les techniques de chacun des contentieux civil, pénal ou administratif, ce qui ne va pas sans poser des difficultés sur le plan de la procédure, ce qui donne souvent lieu à des questions préjudicielles (voir l’article L.480-13 du Code de l’urbanisme à propos du droit de démolition d’un immeuble et l’article L.112-16 du Code de la construction et de l’habitation à propos de la théorie dite du droit du premier occupant vis-à-vis des dommages causés par des troubles de voisinage).
Finalement, pour parvenir à déterminer les points de recoupement entre le contentieux environnemental et l’arbitrage, point n’est besoin de réfléchir à la question de savoir quelle est la place du droit privé dans le droit de l’environnement15 pour déterminer le champ d’action qu’il conviendrait de réserver à l’arbitrage en matière de droit de l’environnement. Une telle hypothèse ne parviendrait pas non plus à résoudre la question éventuelle de l’application de l’arbitrage aux personnes publiques que l’on ne peut éliminer d’office dans une telle perspective.
Il faut, au-delà de cela, se demander quelles sont les limites de cette sphère privée et s’il est possible d’étendre celle-ci en n’hésitant pas à intégrer dans l’arbitrage des données de droit public (I).
Une fois que l’on aura délimité le sujet, ou plus exactement le champ d’application de l’arbitrage, il conviendra d’en tirer toutes les conséquences de droit sur l’apport possible que le contentieux de l’arbitrage pourrait prendre ou donner au droit de l’environnement (II).
I- Aspects généraux de l’arbitrage interne dans le domaine du droit de l’environnement
L’arbitrabilité de la matière environnementale suscite de nombreuses interrogations du fait de sa nature publique mais aussi du fait de l’intervention fréquente de personnes publiques dans la matière considérée. Il convient donc, en premier lieu, de préciser le cadre de la compétence arbitrale en raison de son objet et des personnes mises en cause (A), avant de déterminer de façon plus spécifique la nature du contentieux environnemental afin de savoir dans quelle mesure, compte tenu de la nature du sujet, celui-ci peut-il faire l’objet d’un arbitrage (B).
A- Compétence ratione personae et ratione materiae
Selon les termes de l’article 2059 du Code civil, « toute personne peut compromettre sur les droits dont elle a la libre disposition ».
Cependant, alors que pour les personnes privées, les seules limites tiennent au respect des règles du droit commun des contrats, les personnes publiques se voient opposer un principe d’interdiction de compromettre prévu à l’article 2060 du Code civil16.
Ce principe d’interdiction prévu par la loi a été érigé en principe général du droit par le Conseil d’État dans un avis du 6 mars 1986 Eurodisneyland dans lequel il a considéré qu’ « il résulte des principes généraux du droit public français [que] les personnes morales de droit public ne peuvent pas se soustraire aux règles qui déterminent la compétence des juridictions nationales en remettant à la décision d’un arbitre la solution des litiges auxquels elles sont parties et qui se rattachent à des rapports relevant de l’ordre juridique interne. Tout compromis ou toute clause compromissoire conclu en méconnaissance de ces principes est atteint d’une nullité d’ordre public »17.
Le fondement de cette issue repose sur le principe de séparation des autorités administratives et judiciaires de la loi des 16 et 24 août 1790 et du décret du 16 fructidor an III et sur le système de dualité des ordres de juridiction18.
La prohibition de l’arbitrage pour les personnes publiques étant reconnue comme un principe général du droit, on ne peut y déroger que par la loi. Aussi, l’article L. 311-6 du Code de justice administrative a-t-il ainsi mis en place un certain nombre d’exceptions qu’il énumère de façon limitative. Il s'agit, d’une part, de certaines catégories de litiges contractuels, les litiges relatifs à la liquidation des dépenses de travaux publics et de fournitures engagées par l'État, les communes, les départements ainsi que les établissements publics locaux et les litiges relatifs aux contrats conclus pour la réalisation d'opérations d'intérêt national entre une pluralité de personnes publiques et des sociétés étrangères.
D’autre part, la loi offre la possibilité d’avoir recours à l'arbitrage à certains établissements publics comme La Poste19 et la SNCF. L’alinéa 2 de l’article 2060 du Code civil prévoit également cette possibilité pour d'autres établissements publics à caractère industriel et commercial à condition qu'ils y aient été préalablement autorisés par décret. Enfin, l'État peut aussi recourir à l'arbitrage pour mettre en œuvre la procédure de retour d'un bien culturel20.
Certains auteurs préconisent aujourd’hui d’ouvrir l’arbitrage à l’ensemble des personnes morales de droit public sans faire de distinction parmi celles-ci21. Une étude adoptée par l’assemblée générale du Conseil d’Etat le 4 février 1993 dénommée : « Régler autrement les conflits », proposait déjà l’extension du champ de l’arbitrage à l’ensemble des marchés publics22.
Plus récemment, un rapport en date du 27 mars 2007 du groupe de travail sur l’arbitrage présidé par le président Daniel Labetoulle à la demande du garde des sceaux M. Pascal Clément, préconise un renversement du principe de prohibition de l’arbitrage pour toutes les personnes publiques et concernant exclusivement la matière contractuelle23. Ce rapport est accompagné d’un projet de loi. Mais ce dernier a été très critiqué et n’a pas abouti.
En ce qui concerne les personnes physiques et les personnes morales de droit privé, la possibilité de recourir à l’arbitrage, sous les réserves habituelles de droit, ne pose pas de problème. Peut compromettre toute personne qui n'en est pas déclarée incapable par la loi. Les personnes privées peuvent donc compromettre mais encore faut-il que la matière en question soit « arbitrable ».
Pour être valable le compromis d'arbitrage doit porter sur un litige pouvant faire l'objet d'une procédure arbitrale. En effet, le Code civil édicte des impossibilités de recours à l'arbitrage, au regard des droits qui sont en cause, de l'ordre public et de l'existence d'une attribution impérative de compétence. D’une part, en vertu de l'article 2059 du Code civil, il est impossible de compromettre sur des droits dont on n'a pas la libre disposition. D’autre part, l'article 2060 du Code civil énumère expressément un certain nombre de domaines dans lesquels il est interdit de compromettre. Il s'agit de l'état et de la capacité des personnes, du divorce et de la séparation de corps et des « contestations intéressants les collectivités publiques et les établissements publics ».
S’agissant de la référence à l’ordre public qui est le cœur du droit de l’environnement, le texte prévoit bien, en effet, l’interdiction de compromettre pour « toutes les matières qui intéressent l'ordre public ». Cette formule générale employée par l’article a donné lieu à certaines difficultés d’interprétation mais il est aujourd'hui incontestablement admis que cette disposition ne retire pas à l’arbitrage tout litige impliquant l’application d’une réglementation d'ordre public. Elle a seulement pour finalité d’interdire à l'Arbitre de se prononcer sur l'existence ou non de la violation d'une règle d'ordre public.
B- Environnement et ordre public : l’arbitrabilité des litiges environnementaux
La question qui se pose alors est celle de savoir comment envisager de recourir à l’arbitrage alors même que la partie essentielle du droit de l’environnement fait partie intégrante de l’ordre public et doit donc être considérée comme une matière non arbitrable au regard de l’article 2060 du Code civil.
La question a été résolue positivement par la jurisprudence et selon un arrêt en date du 19 mai 1993 de la Cour d’appel de Paris dans une affaire dite Labinal, « l’arbitrabilité d’un litige n’est pas exclue du seul fait qu’une réglementation d’ordre public est applicable au rapport de droit litigieux »24. En pratique, les arbitres devront simplement respecter les normes environnementales qui sont d’ordre public25 et ne pourront pas se prononcer dans un sens allant à l’encontre d’une décision administrative. Si tel est le cas, la sentence arbitrale ne sera pas opposable à l’Administration26. L’arbitrage étant de nature contractuelle, il a un effet relatif et ne concerne donc que les parties. L’Arbitre qui statuera en amiable compositeur à la demande des parties pourra statuer en équité pour ce qui ne relève pas de l’ordre public.
En son principe, le contentieux environnemental peut donc faire l’objet d’un arbitrage, malgré son caractère d’ordre public et sa nature publique. En revanche, lorsqu’il est saisi, l’Arbitre devra respecter et appliquer les normes environnementales de manière à ne pas rendre une sentence en contradiction avec l’ordre public. Dans une telle hypothèse, celle-ci risquera d’être annulée pour contrariété à l’ordre public27 au regard de l’article 1492 alinéa 5 du Code de procédure civile dans le cadre d’un recours en annulation. Le juge opère donc un contrôle du respect par l’Arbitre des normes relevant de l’ordre public et donc des normes environnementales. Dans un arrêt du 11 février 2010, la Cour d’appel de Paris a eu l’occasion de se prononcer sur une demande en annulation d’une sentence arbitrale dans laquelle les requérants se prévalaient de la violation par les arbitres d’une règle d’ordre public28. En l’espèce, les requérants faisaient valoir que la méconnaissance par un exploitant de carrière de son obligation de se conformer à son arrêté d’exploitation est une question d’ordre public et que pour la trancher, le tribunal arbitral aurait du déterminer si le rapport technique faisait partie intégrante de l’arrêté préfectoral, question qui n’est pas arbitrable. En refusant toute incorporation du rapport à l’arrêté, les requérants considéraient donc que le tribunal arbitral avait bien violé une règle d’ordre public ; mais la Cour d’appel de Paris rejette l’argument pour contradiction de motif et ne se prononce pas sur la question soulevée.
De même, les parties doivent respecter l’ordre public et donc les normes environnementales qui en relèvent, dans la rédaction de leur convention d’arbitrage. Pour Vanessa Thieffry, « le caractère impératif de la norme environnementale ne semble donc pas représenter un obstacle insurmontable à la résolution par la voie de l’arbitrage du contentieux environnemental ».29
Pourtant les normes environnementales sont, pour la majorité d’entre elles, considérées comme relevant de l’ordre public, il apparaît alors assez complexe de résoudre un litige par la voie de l’arbitrage lorsque le contentieux met en jeu les principes mêmes du droit de l’environnement.
En revanche, dans le domaine des acquisitions de contrats et/ou de biens affectés de sols pollués, l’arbitrage est fréquent car il existe peu de normes impératives. Il en va de même pour la responsabilité délictuelle lorsqu’elle vise les troubles anormaux du voisinage ou les dommages par pollution.
Dès lors que l’arbitrage est ouvert, le contentieux de l’arbitrage environnemental peut profiter, mais dans certaines limites, de l’expérience du contentieux étatique, ce qu’il convient d’examiner maintenant.
II- Aspects techniques de l’arbitrage interne dans le domaine du droit de l’environnement
La possibilité d’échanger des expériences entre les deux formes de contentieux est toutefois limitée. Elle parait pleine et entière dans la technique du recours à l’expertise pour la recherche de la preuve et beaucoup plus réservée en matière de droit à réparation.
Si le recours à des experts dans la procédure arbitrale peut apparaître protecteur de l’environnement (A), la voie de l’arbitrage ne semble cependant pas adaptée à la réparation du préjudice environnemental et de manière générale au contentieux relatif à la matière environnementale (B).
A- Le recours à des experts
La résolution d’un litige environnemental par la voie de l’arbitrage doit être envisagée sous l’angle de l’expertise et donc à travers le recours à des experts qualifiés.
La complexité et la technicité du contentieux environnemental30 et notamment celui de la pollution des sols, nécessitent en effet un besoin de clarification et l’intervention de personnes spécialisées. En faisant intervenir ces spécialistes de façon récurrente, la procédure arbitrale paraît être en parfaite adéquation avec le contentieux environnemental et apte à répondre aux difficultés que présente celui-ci. En effet, la spécificité de cette matière nécessite des compétences variées à la fois juridiques et techniques. Par conséquent, De nombreuses affaires témoignent du développement croissant du recours à l’arbitrage et à l’expertise en matière environnementale et notamment en matière de garantie de passif31 environnemental et de garantie de cession de droits sociaux32.
Cela s’explique notamment par la nature technique de ce contentieux et par les avantages que peut présenter la procédure arbitrale, sa souplesse, son expertise technique et sa célérité.
Il apparaît aujourd’hui nécessaire de mettre en place un ensemble de personnes, juristes ou experts, tous spécialisés dans les problématiques liées au droit de l’environnement, afin de résoudre au mieux les litiges environnementaux. La voie de l’arbitrage apparaît alors la mieux appropriée pour garantir la sécurité juridique. Des experts peuvent donc être désignés en parallèle de la procédure arbitrale et doivent, au-delà d’une parfaite connaissance de la matière, répondre aux exigences d’impartialité, de neutralité et d’indépendance. Dans la célèbre affaire relative à l’usine de peinture implantée à Arpajon dans le Val de Marne, et opposant les sociétés Akzo Nobel AB et Elf Atochem33, l’acte de cession prévoyait une clause de garantie de passif environnemental, ainsi qu’une clause précisant que tout différend devrait être réglé par voie d’arbitrage. Parallèlement, un expert judiciaire indépendant des parties a été désigné par le juge des référés afin de procéder aux investigations relatives à la pollution en cause sur le site.
L’expertise permet le respect des procédures, des normes et méthodes relatives à la gestion de l’environnement.
B- La réparation du préjudice environnemental
La question doit être posée ici compte tenu de l’évolution de la jurisprudence sur le dommage écologique34.
Deux moyens apparaissent aujourd’hui pour traiter les dommages environnementaux, d’une part les fonds d’indemnisation et d’autre part la possibilité de saisir la justice étatique. Cependant, ces deux moyens ne semblent pas satisfaisant.
L’état actuel du droit ne permet pas de réparer efficacement le préjudice causé à l’environnement. C’est pourquoi il est possible de considérer que l’arbitrage peut apparaître comme une alternative efficace pour la réparation de certains préjudices environnementaux mais dans certaines limites.
Le rapport Jegouzo établi en 201335, opère une distinction entre le dommage écologique et le préjudice écologique. Il définit ce dernier comme « celui qui résulte de toute atteinte anormale aux éléments et aux fonctions des écosystèmes ainsi qu’aux bénéfices tirés par l’homme de l’environnement ». Ce préjudice devrait ainsi faire l’objet d’une procédure de réparation spécifique36. Celle-ci doit notamment prévoir une expertise spécialisée à la matière environnementale et être indépendante.
L’arbitrage grâce à sa souplesse pourrait permettre une meilleure gestion de la réparation en nature d’un préjudice environnemental. Celle-ci pourrait prendre la forme d’un calcul des dommages-intérêts et de leur affectation spécifique à la défense d’une cause environnementale.
En réalité, l’arbitrage dans la majorité des cas conduit à se contenter du versement de dommages et intérêts et non à une réparation du dommage en nature. Il est clair que l’arbitrage ne pourrait envisager la remise en état si le compromis ne l’a pas prévu.
Pour ces différentes raisons, il est difficilement imaginable de voir en l’arbitrage un « terrain d’élection » pour le droit de l’environnement et pour la protection de l’environnement comme Thomas Clay souhaite le percevoir, mais il n’est pas interdit aux arbitres d’inventer !
Il n’en reste pas moins que ce type de réflexion sur les rapports entre le contentieux et l’arbitrage dans le domaine de l’environnement, n’est que rarement envisagé de façon coordonnée par les pouvoirs publics et les techniciens. Ayant eu à participer à différentes commissions de réforme du Code et du contentieux de l’environnement installées par l’Etat, l’auteur a eu la surprise de considérer qu’il n’y avait pas de vue unitaire du sujet : les commissions de réformes sur la procédure pénale et administrative siègent séparément et il n’a jamais été question d’y introduire le sujet de l’arbitrage.
Christian HUGLO
Avocat, Huglo Lepage & Associés
L’auteur remercie Mademoiselle Alix Gasnier de sa contribution à ce travail.

[1] Sentence arbitrale, 11 mars 1941, Fonderie de Trail (Etats-Unis c. Canada). Recueil des Sentences Arbitrales, vol. III, pp. 1905-1982 ; Gervais André. L'affaire du Lac Lanoux. In : Annuaire français de droit international, volume 3, 1957. pp. 178-180 ; KISS, Alexandre ; BEURIER, Jean-Pierre. Droit international de l’environnement. 3. éd. Paris : Pedone, 2004.
[2] Cour de cassation arrêt Galakis du 2 mai 1966. J.C.P., 1966, II, 14798, note Ligneau.
[3] Emmanuel JOLIVET, Chronique de jurisprudence arbitrale de la Chambre de commerce internationale (CCI) : aspects du droit de l’environnement dans l’arbitrage CCI. Gazette du Palais, 04 décembre 2004 n°339, P.54.
[4] Partenariat transatlantique de commerce et d'investissement, dit aussi TAFTA, en anglais Transatlantic Trade and Investment Partnership (TTIP).
[5] Alix GASNIER, La « souveraineté législative » des Etats et l’arbitrage d’investissements. Mémoire dans le cadre du Master 2 Droit de l’environnement des Universités Paris I Panthéon-Sorbonne et Paris II Panthéon-Assas.
[6] Sabrina ROBERT-CUENDET, Droits de l’investisseur étranger et protection de l’environnement : contribution à l’analyse de l’expropriation indirecte, Leiden, Martinus Nijhoff Publishers, Etudes de droit international, vol. 4, 2010, XIV + 530 p.
[7] Vattenfall AB, Vattenfall Europe AG, Vattenfall Europe Generation AG c. République Fédérale d’Allemagne ARB/09/6. Vattenfall AB et autres c. République Fédérale d’Allemagne ARB/12/12.
[8] Lone Pine Resources Inc. v. The Government of Canada, ICSID Case No. UNCT/15/2.
[9] Commission des Nations Unies pour le Droit Commercial International ; créée sous l’égide des Nations-Unis.
[10] Accord de libre échange Nord Américain, entré en vigueur en 1994, le Chapitre 11 de cet accord est dédié aux investissements. Il prévoit notamment des normes garantissant aux investisseurs des Etats de l’ALENA un cadre prévisible pour leurs investissements et une procédure de règlement des différends.
[11] Thomas CLAY, Arbitrage et environnement, Gazette du Palais, 29 mai 2003 n°149, p. 10.
[12] Yann AGUILA, Pierre COLLIN, Christian HUGLO, Jacqueline MORAND-DEVILLER, Michel PRIEUR, Agathe VAN LANG. Dossier : La Constitution et l’environnement in Les nouveaux cahiers du Conseil constitutionnel 2014/2 (N° 43). Gilles-J. MARTIN et Patrick THIEFFRY, De quelques incidences possibles de la Charte de l’environnement sur le droit civil et le droit des affaires, in La Charte constitutionnelle de l’environnement en vigueur. Revue juridique de l’Environnement. Numéro spécial, décembre 2005.
[13] Christian HUGLO, La QPC : quelle utilisation en droit de l’environnement ? Dossier La Constitution et l’environnement in Les Nouveaux Cahiers du Conseil constitutionnel 2014/2 (N° 43).
[14] Cons. const., déc. n°2011-116 QPC du 8 avr. 2011, M. Michel Z. et a. Christian HUGLO, La QPC : quelle utilisation en droit de l’environnement ? Les Nouveaux Cahiers du Conseil constitutionnel 2014/2 (N° 43). Dossier : La Constitution et l’environnement. P.68.
[15]Perspectives d’un droit privé de l’environnement, à la recherche du statut juridique du « bioacteur » ? François-Guy TRÉBULLE, A la recherche du statut juridique du « bioacteur » ? Présentation et perspectives d’un droit privé de l’environnement. Place et domaine d’un droit privé de l’environnement, COLLOQUE BIOACTEUR, Bulletin du Droit de l’Environnement Industriel. 2009.
[16] L’article 2060-1 du code civil dispose plus précisément que : « On ne peut compromettre sur les questions d'état et de capacité des personnes, sur celles relatives au divorce et à la séparation de corps ou sur les contestations intéressant les collectivités publiques et les établissements publics et plus généralement dans toutes les matières qui intéressent l'ordre public ».
[17] CE (Ass. gén.), avis du 6 mars 1986, Eurodisneyland, n° 339710, Les grands avis du Conseil d’État, 2e éd., Dalloz, 2002, p. 175.
[18] Y. GAUDEMET, L’arbitrage de droit public : l’exemple du droit marocain, une comparaison utile. Revue du droit public et de la science politique en France et à l’étranger, 01 mai 2014 n°3, p. 635. Dans cet article, Y. GAUDEMET compare le système français avec le système marocain, ce dernier n’a pas la même tradition juridique que la France et n’ayant jamais adopté un système de dualité d’ordres de juridiction le Maroc n’a pas non plus de façon corrélative, ou conséquentielle, posé un principe d’inarbitrabilité pour les personnes publiques.
[19] Article L. 311-6 alinéa 6 : « L'article 28 de la loi n° 90-568 du 2 juillet 1990 relative à l'organisation du service public de la poste et des télécommunications ».
[20] Article L. 311-6 alinéa 7 : « L’article 24 de la loi n°95-877 du 3 août 1995 portant transposition de la directive 93/7 du 15 mars 1993 du Conseil des Communautés européennes relative à la restitution des biens culturels ayant quitté illicitement le territoire d’un Etat membre ».
[21] Mathias Audit, Camille Broyelle, Yves Gaudemet, Mattias Guyomar, Sophie Lemaire, Charles Jarrosson. Débat, personnes publiques et arbitrage. Table ronde du 6 février 2014, organisée par la Revue du droit public et le Centre de Recherches en Droit Administratif (CRDA) de l’Université Panthéon-Assas.
[22] Conseil d'Etat, Régler autrement les conflits : conciliation, transaction, arbitrage en matière administrative, 4 février 1993.
[23] Anne Courrèges, Maître des requêtes au Conseil d’Etat, Celia Verot, Maître des requêtes au Conseil d’Etat., L’arbitrage des litiges intéressant les personnes publiques, quelques éclairages sur un rapport récemment remis au Garde des Sceaux. RFDA 2007. p.489.
[24] CA Paris, 19 mai 1993, Revue de l’arbitrage, p. 645, note Jarosson Ch.
[25] CA Paris, 16 mars 1996, Revue de l’arbitrage, 1996, p. 146, note Derains Y. ; CJCE, 1er juin 1999, aff. C-126/97, Eco Swiss, Revue de l’arbitrage, 1999, p.631, note Idot L.
[26] Vanessa THIEFFRY, La convention d’arbitrage, convention d’aménagement du contentieux environnemental interne et international, Colloque Les conventions d’aménagement du risque environnemental, Bulletin du Droit de l’Environnement Industriel 2007.
[27] Cass. 2e civ, 15 janv. 2004, D. 2004, somm., p. 3181, obs. Clay Th.
[28] CA Paris, Pôle 1 Chambre 1, 11 février 2010, n° 08/21884, Consorts L. et C… non publié.
[29] Vanessa THIEFFRY, La convention d’arbitrage, convention d’aménagement du contentieux environnemental interne et international, Colloque Les conventions d’aménagement du risque environnemental, Bulletin du Droit de l’Environnement Industriel 2007. Op.cit.
[30] Guy CANIVET, Premier Président de la Cour de cassation, Président du Forum des juges de l’Union européenne pour l’environnement, Dominique GUIHAL, Conseiller référendaire à la Cour de cassation, Chargée d’enseignement aux universités Paris I et Paris II. Protection de l’environnement par le droit pénal : l’exigence de formation et de spécialisation des magistrats. Recueil Dalloz 2004 p.2728.
[31] A. VIANDIER, Arbitrage et garantie de passif, Rev. arb. 1994, p. 439.
[32] Cour de cassation, civ.1ère, 14 octobre 2015. Pourvoi n°14-25.353.
[33] Cour d’appel de Versailles, 8 octobre 1998, 1997-6011.
[34] Rapport Jegouzo Assemblée Nationale, France, 17 septembre 2013, p. 13 à 15, 81 pages.
[35] Ibid.
[36] Laure SINGLA, L’approche transversale de la protection de l’environnement par la médiation judicaire et extra-judiciaire environnementale, Gazette du Palais. Edition professionnelle. Vendredi 6, samedi 7 novembre 2015. N°310 à 311.
