L’inopposabilité du nouvel article 2061 du Code civil

Pour clore l’année judiciaire, l’ AFA a organisé le 27 juin 2017, son dîner débat annuel avec pour thème « L’inopposabilité du nouvel article 2061 du Code civil ».

Les membres de l’ AFA étaient venus nombreux pour participer à la discussion introduite par Monsieur le Professeur François-Xavier TRAIN et entendre les réponses aux questions provoquées par Maître Nathalie MEYER FABRE, Avocat au Barreau de Paris.

Monsieur le Professeur Thomas CLAY et Monsieur le Professeur Pierre BERLIOZ, conseiller du Garde des Sceaux, qui ont participé à la conception et à la rédaction du texte du nouvel article 2061 du Code civil ont grandement contribué à la richesse de ces débats.

Article 2061 Code Civil :
« La clause compromissoire doit avoir été acceptée par la partie à laquelle on l’oppose, avant que celle-ci ait succédé aux droits et obligations de la partie qui l’a initialement accepté.

Lorsque l’une des parties a contracté dans le cadre de son activité professionnelle, la clause ne peut lui être opposée ».

Monsieur le Professeur François-Xavier TRAIN a d’abord fait part de son interrogation sur l’utilité du premier alinéa de cet article dont il note que l’adverbe « expressément » qui figurait dans le texte initial pour l’acceptation de la clause compromissoire avait heureusement disparu. Son maintien en effet aurait entraîné une régression très préjudiciable à l’arbitrage. En fait cet alinéa n’ajoute rien au droit positif actuel tant pour ce qui concerne le consentement à la clause compromissoire, qui peut être tacite, que pour ce qui a trait à sa circulation.

Madame Nathalie MEYER FABRE a été plus critique à l’égard d’un texte dont la nécessité ne se faisait pas sentir et qui risque de semer le trouble. Elle déclare qu’elle a traduit « l’inopposabilité » en anglais et s’est arrêtée sur le mot «unforceable», qui n’est pas obligatoire, mais demeure insatisfaite de ce que les mots employés (acceptation, inopposabilité) font davantage penser à une approche unilatérale de la clause compromissoire par opposition aux termes « consentement » et « validité » qui conviennent davantage à la nature contractuelle de l’arbitrage et craint de ce fait que celle-ci ne se fissure.

Elle s’interroge aussi sur le progrès qu’est susceptible d’apporter l’inopposabilité par rapport à la nullité, alors que le résultat pratique est le même, sauf à créer un doute, notamment en cas de litiges successifs, et de créer ainsi une certaine insécurité qui n’existait pas auparavant.[1]

Le Professeur François-Xavier pense que le texte nouveau ne devrait avoir aucune incidence sur la circulation de la clause compromissoire et son extension, du moins en matière internationale du faite que les notions d’implication ou d’immixtion dans l’exécution du contrat ne devraient pas être remises en cause pour l’application de la clause compromissoire. Reste cependant qu’en matière de cession d’actions dans une société commerciale, considérée comme pouvant faire l’objet d’une clause compromissoire sous l’empire du texte ancien, il suscitera peut-être une contestation au niveau de l’opposabilité lorsque la cession intervient avec une partie non professionnelle ; il faut espérer que l’exception de l’article L 721 du Code de commerce demeurera applicable bien qu’elle ne concerne que la validité de la clause compromissoire.

Il a relevé que l’inopposabilité était la règle en matière de droit de consommation et avait été adoptée pour le contrat de travail international. La mise en œuvre en sera donc identique, c’est-à-dire que l’inopposabilité de la clause devra être soulevée « in limine litis » sous peine de renonciation qui résulterait notamment d’une désignation d’arbitre. En cas de difficulté il appartiendra principalement à l’institution d’arbitrage et à défaut au juge d’appui d’en apprécier le caractère manifeste, sinon par application du principe compétence-compétence c’est le tribunal arbitral qui se prononcera.

L’application de la clause compromissoire dans le temps suscite aussi des interrogations mais selon lui son caractère de loi de procédure devrait, comme pour l’application de l’ancien article 2061 du Code civil, militer pour son application immédiate aux contrats en cours, alors de surcroît que l’inopposabilité ne se situe pas sur le même plan contraignant que la nullité.

Monsieur Thomas CLAY et Monsieur Pierre BERLIOZ sont intervenus pour affirmer que les intentions du législateur étaient favorables à l’arbitrage et que les hésitations qui se manifestent devraient être levées par une application libérale du texte. C’est le vœux général et il reste à attendre son application pratique pour en juger, mais on ne peut s’empêcher de penser qu’inopposabilité est plus douce que nullité et qu’un progrès en est résulté, même si des questions demeurent.

Bertrand MOREAU

[1] La réponse ministérielle du 16 mai 2017 à la question n°98313 au Ministère de la Justice n’est pas de nature à lever toutes les incertitudes.